Pour redonner à la poésie ses lettres de résistance

J’ai commencé à m’intéresser à la poésie parce que j’adorais – et j’adore toujours – le rap. J’en faisais des explications de texte en cours quand je m’ennuyais. Alors lorsqu’il a fallu me spécialiser dans mes études littéraires, je me suis naturellement dirigée vers la poésie, un art dans lequel je suis entrée par le rap et donc par la politique. Souvent, l’on associe la poésie à la poésie amoureuse, ou encore à un art peu compréhensible et opaque. Les poétesses n’existent pas : les femmes ne sont que les muses des poètes, qui écrivent combien ils veulent les baiser, ou comment ils les ont violées. En vérité, les femmes ont écrit et écrivent de la poésie. Et je crois qu’appréhender la poésie depuis leurs textes permettrait de mieux comprendre le rôle ou tout du moins la place de la poésie dans nos sociétés. Par-delà la nécessité de décentrer les corpus masculins des rayons de la poésie, j’avoue défendre une vision ouvertement politisée de la poésie et plus généralement une littérature connectée à la réalité, aux enjeux et aux défis auxquels nous faisons face. Mais cette poésie est-elle capable d’apporter des changements ? Ou est-elle un art de salon, pour les intellectuel.les de gauche ? J’aimerais tenter de répondre à ces questions, peut-être pour redorer le blason de la poésie, la descendre de son piédestal, la sortir de son Gallimard à reliures.

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Krakatoa

Âtre enclavé d’ordures ou pur purin en purée clastique qu’empire en coulure pyroclastique de mes méninges abstruses, fumeuses vomissures de mes raisonnements ardents entre mes commissures circonscrits, je suis perdu, paumé, prostré, recroquevillé dans un coin obscurément éclairé à la lueur de mon magma cervelet, quand tout à coup la fêlure, la cassure, la fissure, la brutale ouverture, et face à la faille, à défaut d’entrailles, je défaille et m’efface… 

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Le retour

Lundi, huit heure et demi. Alice est toujours la première arrivée dans la salle d’activités. Les infirmières la saluent, le weekend s’est bien passé ?
Parfait parfait.

Elles s’énerveront plus tard, après avoir constaté qu’elle a encore diminué. Mais en ce début de matinée, elles lui sourient. Alice a trouvé un endroit où exister. Sur le bureau, elle sort ses crayons, ses carnets pour patienter. Elle attend le moment où Fiona fera son entrée.

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Zelda et Scott Fitzgerald : une histoire d’amour et de folie en Suisse

Jon Monnard a publié un premier roman, Et à la fois je savais que je n’étais pas magnifique, aux éditions L’Âge d’Homme en 2017. Une bourse littéraire de l’État de Fribourg lui a ensuite permis de mener des recherches pour son second livre. Ce nouvel opus, qu’il vient de terminer, porte sur le séjour que l’écrivain états-unien Scott Fitzgerald et son épouse Zelda ont effectué en Suisse en 1930-31. Pour des raisons de confidentialité, il ne peut pas (encore !) nous livrer son titre. Mais il nous explique dans cette interview avec l’historienne Aude Fauvel pourquoi il s’est intéressé à cette période sombre de la vie du couple, puisque c’est en Suisse, à la clinique de Prangins sur les hauteurs du lac Léman, que Zelda fut internée pour la première fois en 1930.

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Un prisme devant la pupille

L’adolescent leva les yeux de son livre et regarda entrer l’étranger avec une certaine forme de détachement teintée de froideur. La tête légèrement penchée sur la gauche, ses yeux en amande ne cillaient pas et contribuaient à rendre tout visiteur mal à l’aise. Cela expliquait en partie qu’il n’eût plus de visiteur depuis un moment, si ce n’était le personnel soignant.

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Crazy Magic Cities

En Marges : Coralie David, tu as soutenu un mémoire sur la fantasy urbaine en 2008. Qu’est-ce que c’est exactement ? 

Coralie David : Disons que là où la fantasy classique s’inspire du Moyen Âge, celle-ci mêle merveilleux et réalité contemporaine, souvent dans un cadre citadin, et se concentre sur la relation entre ces deux sphères. Plus que jamais, ce « genre d’évasion », comme le pensent avec mépris les tenants de la « vraie » littérature, parle de la réalité. Genre de la marge et de l’hybridation, il fait danser les fées sur les toits des usines désaffectées. Oxymore esquissé chez Baudelaire ou Dickens, il mêle merveilleux mythique et réalité crasse, et pose la raison non pas comme le meilleur moyen de l’accès à la compréhension du monde, mais comme un obstacle à une vision complète de celui-ci.

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Entretien fictif avec Hervé Guibert

Il y a 28 ans disparaissait l’écrivain, journaliste et photographe Hervé Guibert. Homosexuel, proche de Michel Foucault, il meurt du sida à 36 ans, à Clamart, en région parisienne. Nous nous sommes demandé·es ce qui avait pu le motiver à exiger, par voie testamentaire, le transport immédiat de son cadavre sur l’île d’Elbe, en Italie. La question du corps étant au centre de ses élaborations littéraires, nous avons supposé que cette dernière volonté recouvrait des éléments signifiants et actifs de son œuvre comme de sa vie – tant les deux sont liées depuis son tout premier livre. Nous nous sommes donc rendu·es à Rio, commune où se trouve sa sépulture, où il a bien voulu nous accorder cet entretien.

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Dialogue mystique des amants magiciens

– Adieu habits ! Libres enfin parmi la vaste atmosphère, promenons-nous dans les bois de nos os, sous les feuillages de nos chairs frémissantes, guidés par nos désirs qui mugissent et hululent en défroissant leurs ailes.

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Sur la route

Je jette mon sac dans le coffre sur un tas de bric-à-brac entassé rapidement. Six-cent kilomètres à faire avec la fatigue du déménagement. Seule. Ça sent l’humidité du Nord, les briques rouges de la ville, ça sent le week-end et l’anxiété des dernières nouvelles à la radio.

Un mois que je ne l’ai pas vue. Un mois qu’Elle me manque tous les jours, trois fois par jour. Un mois qu’on se dit qu’on s’aime à distance sans pouvoir se toucher. C’est long un mois d’amoureuses. Du coup je vais définitivement les rouler ces six-cent bornes. 

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Dans la cuisine

J’épluche des légumes. J’épluche des kilos de légumes. Je songe déjà à ce que je vais en faire, comment je vais les découper, les cuire, les assaisonner, les assembler. Tout ça va être bon. Je rêvasse. Je me coupe un petit peu. 

Le monde s’angoisse, mais moi je coupe mes légumes. Les odeurs des plats du jour flottent dans la cuisine. On se prépare, mais je sais qu’il n’y aura pas grand-monde. Comme hier en fait. Les annonces de jeudi ont fait fuir les clients. La patronne pensait que beaucoup voudraient profiter de ce dernier week-end avant d’avoir les enfants à la maison, sortir, vivre. Je ne crois pas que les gens du coin réagissent à l’angoisse par des pulsions de vie. Je présume plutôt qu’ils sont dans la pulsion de consommation, en train de faire des réserves dans les supermarchés. 

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