J’ai la nausée de mon corps : les poils sur mes mamelons, le bourrelet sous l’élastique de mes shorts, la molle blondeur de ma peau, les flaques de mes cuisses écrasées sur les chaises. Je demande plus, plus de disparition.
D’un jour à l’autre, d’une heure à l’autre, je parcours des distances exténuantes entre dysphories et euphories. Mon corps change d’une façon incontrôlable, s’amenuise enfin, et cette perte de poids m’oblige à me rendre compte que je n’accepte pas plus mon corps mince que mon corps gros. Certains jours, je sens mes os, la chaleur et la douceur de ma peau. Je sens l’extérieur depuis l’intérieur et j’ai peur.

Ces jours-là, je m’habille en homme.
Il n’y a pas d’accoutrement qui donne à ce corps, à la largeur de ce dos, à ces épaules voûtées, le droit d’exister. Quand je porte une robe, ma posture n’est jamais la bonne. J’essaie de ne pas penser à ma poitrine, à la dissonance. Si je croise mon image dans une vitrine, je la transforme mentalement, prise d’une faim insatiable de changer de reflet. Je voudrais rendre cette image plus féminine, ce déguisement plus efficace.
Les photos de moi me dégoûtent. Je n’y vois que la copie ridicule de ce corps étrange, gros et large et inclassable, la douceur égarée de ce visage rond, la laideur de ce sourire-grimace.
À l’approche de mes vingt-cinq ans, si j’ai apprivoisé le mot «fille» je n’accepte toujours pas que «femme» s’applique à moi. J’ai eu, tout au long de ma vie, le sentiment confus mais persistant d’attendre une métamorphose par laquelle je deviendrais un jour «moi-même».

J’interroge le mot «homme», qui m’a attaqué⋅e si violemment dans le passé, au détour de trips psychédéliques, quand les miroirs et la psilocybine se confondaient pour me renvoyer l’image d’un corps qui n’était plus féminin. J’interroge le mot «homme» aujourd’hui et tous les jours maintenant, et il me traverse, me quitte, mais laisse derrière lui le mot «garçon» qui s’est accroché quelque part et qui toise le mot «fille».
Je suis. Je ne suis pas l’un ou l’autre, je ne suis pas ni l’une ni l’autre, et j’ai peur – j’ai peur des autres, peur qu’on ne m’aime plus jamais et surtout peur panique de passer à côté de moi-même.
Illustrations : Bergamote Merlin
Un jour Geneviève, a appris à parler et n’en est jamais revenu.e. C’est tout naturellement que l’écriture lui a permis d’apprivoiser le silence.