Amputer la langue. Ma phrase commencerait comme ça. Amputer la langue. Quand je dis langue, je dis Langue avec un grand L. La grande, la vraie, celle de tous les jours. La langue qu’on utilise, qu’on use à coups de mâchoires et de salive. La Langue de nos grands-mères et de nos grands-pères. Celle à qui l’on échappe en serrant les dents. Celle qui peut tout dire en un mot un seul.
Amputer la Langue, haut fort et contre tout.
Si j’étais un mot, je serai celui qui me manque.
Le mot qui me manque le lundi matin.
Le mot qui me manque quand mes yeux ne veulent plus voir.
Le mot qui me manque pour dénoncer
Pour dire le grand et le méchant.
Pour crier la honte et la colère.
Pour aimer plus vite que la lumière et plus fort que l’éclair.
Si j’étais un mot, je serai celui de la perdition
De la mémoire qui oublie, qu’elle ne sait plus, qu’elle n’a jamais su.
Je serai le mot des souvenirs imaginaires, de la réalité qui se tord
Jusqu’à ne plus savoir si elle est fausse ou mensongère
Je serai la croyance brute et folle en un passé jamais arrivé
Amputer la langue de sa substance et de son sens
Voilà ce qu’ils essaient de faire
Ils n’y parviendront pas
Nous marcherons jusqu’en haut de la tour à Marianne
Et nous leur crierons qu’ils et elles se trompent
Nous leur crierons que de cet oublicide
Naîtront d’autres rejetons, dont la mémoire sera impossible à effacer
Des mots plus grands, plus forts, plus nombreux en syllabes
Les Lettres n’ont pas dit leur derniers mots
Les mots n’ont pas encore usé de toutes leurs lettres !
La Langue est notre royaume
Nous en sommes les serviteurs, et non pas les souverains
Et si nous pouvons tricher, mentir, et jouer avec Elle
Dame Langue saura reconnaître si nous la servons avec loyauté
La Langue est le royaume que nous défendrons
Jusqu’à en périr si il le faut
Amputé.e.s de notre Langue, nous parlerons encore
Car la Langue n’est jamais muette
Même inaudible, elle sait se faire entendre
Tel un membre fantôme qui nous hante
Elle nous traverse jusqu’à la gorge
Tel une valse sans musique
Elle nous anime de l’aube au crépuscule
« Il n’y a pas de mots pour décrire vos maux »
Scandent-ils en se faisant nos portes paroles non désirés
Alors ils rentrent dans nos bouches, dans nos palais et dans nos glottes
Ils et elles veulent nous prendre ce que nous avons de plus précieux
« Arrière ! » On ne se déclare pas proprio des mots !
On ne prend pas la place, on ne parle pas pour…
On se tait et on écoute, on se tait et on fait place
A la Langue pour qu’elle règne sur Terre comme au Ciel
Libre et fière, pour des siècles et des siècles
J’avais cinq ans quand on m’ a amputé de mon premier mot
Je m’en souviens comme du goût des dimanches soirs
Je m’en souviens comme du temps où mes parents me disaient « je ne t’aime pas »
Incapables de prononcer ces mots qui leur ressortaient par les yeux
J’avais cinq ans quand on m’a amputé de mon sexe de naissance
Et qu’on me l’a pris du corps, jeté au feu, à la poubelle, sous la terre
Dysphorie de genre m’a été amputé
Paraît que ça faisait trop mal aux oreilles
A la place on m’a flanqué du garçon manqué, du pd mouillé, et de la salope mal lunée
Je me demande encore ce que la lune venait faire là…
Toujours est-il que ce jour-là, on a refusé de me nommer
A la place de mes mots effacés, on m’a gavé de lettres qui ne savaient pas baiser ensemble
Parce-que pas faite pour, factices, artificielles
Androgyne m’a été donné, je l’ai vomi
Garçonne m’a été promis, je l’ai haï
Chatte à barbe m’a été inséminée, la greffe n’a pas pris, et je n’ai pas ri
Mal née est tombée sur la table un premier avril mais ce n’était pas un poisson
Sans nom m’a écrasé de tout son poids et m’a assené le dernier coup
Sans nom, car c’est bien de cela qu’il s’agit
On m’a amputé de mon Nom
Expulsée de ma propre Langue.
Je pensais pourtant faire partie de notre grand Dictionnaire commun
Je croyais que la Bible des Mots
Nous contenaient toutes et tous, nous pauvres pêcheurs
Qu’elle racontait nos fautes et nos exploits, sans exception aucune
Mais du saint Testament une page s’est détachée
Celle où l’on parle de moi est encore à écrire.
A l’encre de ma bile, ou à celle de votre sang
Il vous faudra un jour, vous, ses chirurgiens
Que vous la guérissiez de ses plaies béantes
Cette langue amputée de ses enfants
Dysphorie de genre ne l’abîmera pas, je vous le promets
Elle la rendra plus riche, plus belle encore
Me nommer ne vous abîmera pas, je vous le jure
Et qui sait, peut-être un jour
Vous retrouverez vous sur un membre de page déchiquetée
Flottera alors sur le papier, un morceau de votre Nom
De ce nom qu’on ne vous a jamais donné
De ce mot qui vous manquait, et dont vous étiez amputé.
Tu veux faire quoi quand tu seras grande ?
– Je veux créer des Mondes.
Installée à la petite table du fond près de la fenêtre, une tasse de poésie fumante à la main, je déploie ma panoplie de Super – Héroïne. L’ Imagination Open-Bar et le clavier bien huilé, je plante le décor de mon prochain spectacle. Jouer, mettre en scène, écrire… rêver surtout. Faire que la musique du cœur l’emporte, envers et contre tout.
Ecolo – féministe amoureuse des petites et des grandes histoires de l’humanité, je fais du théâtre comme on a faim et comme on a soif. En hurlant ma poésie à langue haute, debout sur la table, pour que ma tasse ne soit jamais vide. Clio est la fondatrice de La Compagnie Indigo, avec laquelle elle crée une troupe de comédien.ne.s adolescent.e.s, et dirige des stages de théâtre multilingues à Paris, Londres et Athènes.