Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ?
Hillel, Pirke Avot 1:14 1Hillel est un des rabbins les plus célébrés du Talmud (le texte central du judaïsme rabbinique, qui définit la loi religieuse juive). Le Pirke Avot, ou « l’Éthique des Pères », est un traité de la Mishna (premier recueil de la loi juive orale) qui traite des questions éthiques et morales.
Et si je ne suis que pour moi, qui suis-je ?
Et si ce n’est pas maintenant, alors quand ?
Quel futur désirable pour la diaspora juive ?
Un futur inspiré par la philosophie du tikkoun olam2Ce concept, qui signifie « réparation du monde », est présent dans la liturgie juive et dans la Mishna, renvoyant aux mesures juridiques pouvant améliorer les conditions sociales. Souvent synonyme de « justice sociale » dans les courants juifs libéraux, le tikkoun olam fait allusion aux responsabilités éthiques et morales centrales au judaïsme, afin d’adresser les inégalités sociales et améliorer les relations interpersonnelles., concept juif qui œuvre à la « réparation du monde », à la protection et la justice sociale.
Un futur où, guidé·es par cette philosophie, l’on transforme notre peine et notre trauma intergénérationnel en forces créatrices, en élan de solidarité contre toutes formes d’oppressions, de persécutions, d’inégalités.
Un futur où l’on peut vivre en toute sécurité, et être libéré·es du fardeau d’un antisémitisme ambiant.
Un futur où il n’y a pas de « bon·nes » ou « mauvais·es » juives et juifs, mais différentes manières d’être juif·ve. Où l’on peut tout aussi bien exercer une pratique régulière que revendiquer une identité juive laïque.
Un futur où l’on ne doit pas cacher notre identité, ni la minimiser, par peur d’être attaqué·e, jugé·e, stéréotypé·e.
Un futur où l’on ne réprime pas notre judéité au profit d’un universalisme parfois étouffant et uniformisant.
Un futur où notre communautarisme est cosmopolite, rayonnant d’une volonté d’échange, de partage, d’écoute, d’ouverture au monde.
Un futur où nous luttons contre toute forme de déshumanisation ou de hiérarchisation ethnique, raciale, ou religieuse.
Un futur où l’on ne se bat pas uniquement contre l’antisémitisme mais également contre l’islamophobie et toutes formes de racisme. Parce que ces combats nous concernent aussi.
Un futur où nous reconnaissons et luttons pour la reconnaissance de la violence coloniale, de la traite transatlantique et de l’esclavage, ainsi que de leurs héritages contemporains. Où nous exigeons des réparations pour ces crimes.
Un futur où nous ne pouvons accepter que l’antisémitisme dont nous souffrons soit instrumentalisée pour réduire en silence d’autres formes de racismes et d’oppressions.
Un futur où l’on ne peut accepter que l’horreur de l’antisémitisme à travers le monde serve à légitimer la violence menée – en notre nom – contre le peuple palestinien.
Un futur où la colonisation et l’apartheid en Israël-Palestine sont des réalités non seulement reconnues, mais aussi perçues, vécues, comme des crises morales en conflit avec le concept de tikkoun olam qui parsème notre philosophie et liturgie.
Un futur où l’on peut critiquer cette domination sans être traité·es de « kapos »3Dans les camps de concentration nazi, détenu·e chargé·e de superviser les prisonnièr·es, souvent violent·e envers eux. , sans recevoir des menaces de mort, sans être accusé·es d’antisémitisme ou de se détester soi-même – comme si la solidarité avec le peuple palestinien serait d’autant plus criminelle venant d’un·e juif·ve.
Un futur où l’on ne peut se sentir en sécurité si cette sécurité dépend de l’insécurité de « l’Autre ».
Un futur où il n’y a pas « d’Autre ».
Comme nous l’a dit le rabbin Hillel : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Mais si je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si ce n’est pas maintenant, alors quand ? »
En d’autres termes : nous devons avant tout prendre soin de nous, sinon personne ne le fera. Comment améliorer le monde si nous nous préoccupons seulement du bien-être de notre propre communauté ? Comment pouvons-nous donc contribuer à l’amélioration du monde ? Nous devons passer à l’action, maintenant.

Illustrations : Stance est une illustratrice composant une suite de strophes lyrico-kinky d’inspiration grave… ou légère, selon l’humeur.
Deborah Leter est doctorante en anthropologie socioculturelle à la City University of New York. Sa thèse porte sur les relations contemporaines entre la France et l’Afrique, l’imaginaire colonial du récit national français, et les projets politiques non-eurocentrés émanant des espaces militants et universitaires en France. Franco-américaine, Deborah milite au sein de mouvements juifs anti-racistes en solidarité avec le peuple palestinien des deux côtés de l’Atlantique.
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