Tu as pris ma main
lorsque les flics ont gazé
le jardin d’enfants.
Le temps reviendra
que tu me craches au visage –
l’été avec lui.
Ta chambre (remplie
de frissons, de draps défaits)
d’animal sauvage.
Tentative de fuite –
C’est une affaire de cabanes
sous les draps tendus.
Tout ce qui empêche,
empiète et contraint,
venu de toi, vaut baiser.
Haut, plat, blanc, soleil –
Les pieds nus sur ma gorge
sont restés sans ombre.
Haïkus ?
J’ai une passion coupable pour la mystique négative. Je veux dire : cette philosophie un peu brumeuse, où l’on cherche à se dépouiller du langage (et même de soi) pour atteindre la véritable connaissance de dieu.
De dieu en vérité, je m’en fous un peu, mais cette histoire de dépouillement, ça me parle. En se rapprochant de certains mondes érotiques, on apprend à manipuler un certain langage. On s’accoutume à la substantivation de l’adjectif « soumis·e », par exemple. C’est plus pratique que « personne soumise », je suppose.
On croit avoir décrit son désir en disant « je veux être ton ou ta soumis·e », et on n’a en fait rien dit du tout. Les mots qu’on s’échange ont une certaine efficace : l’ensemble de représentations qu’ils charrient se charge d’exciter, d’évoquer un monde que l’on a, supposément, en partage avec leur destinataire. Mais on reste engoncé de cette imagerie qui vient coordonner nos désirs dans le strict espace commun du BDSM.
On fait récit d’un instant dans un haïku, on cherche à décrire l’immédiateté des choses. Et dans cet interstice entre maintenant et tout de suite après, il me semble qu’on ne peut pas passer si on s’encombre de folklore.
J’essaie de me rappeler du temps où les mots du BDSM n’étaient pas encore les miens : Le trouble d’enfance muet que l’on a connu lorsque l’on a, en rêve, embrassé les pieds d’un·e camarade de classe ou, encore, l’évidence claire et arbitraire que l’on a trouvée à réaliser telle idiotie, parce que c’était un ordre et qu’il nous avait été donné. Tout ce qu’il y avait avant les bracelets en cuir, avant le web et la littérature.
Avec les haïkus, voilà : j’essaie de me représenter un BDSM pauvre.
Illustration : Bergamote Merlin
Un piètre tigre écrit sur son temps libre : de la poésie, surtout. Il travaille parfois en tant qu’agent administratif dans le théâtre. Œuvrer à rendre possible les créations des autres luia donné envie de se consacrer plus sérieusement à ses propres activités artistiques. Il aime Monique Wittig, la mystique négative et les grands sentiments tordus.
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