Mûe : Création d’un espace magique et féministe

C’est quoi ce projet ?

Nous nous sommes rencontrées à la jointure de nos divers appétits pour de multiples arts, au bord de notre révolte en plein réveil, à la souche de notre désir d’éclosion et de transmutation dans ce monde qui n’en n’a pas fini d’être patriarcal. 

A travers Mûe nous avons eu l’intuition que nous pouvions tisser de manière singulière et collective des espaces qu’on a voulu nous faire croire antagoniste / séparés : l’artistique, le politique, le poétique, le féminisme, le magique, le somatique.

Nous avons alors ouvert un espace en mixité choisie – sans hommes cisgenres – pour questionner nos conditionnements corporels, psychiques, intimes et sociétaux et s’offrir des espaces d’exploration, de création et de métamorphose qui soient des espaces « safe », de soutien, d’enjaillement, de compréhension. 


Ce qui nous intéresse c’est d’explorer comment l’expérience d’un processus de création artistique et sensible peut ouvrir des voies d’émancipation, de réappropriation de notre corps… Nous voulons croire que nous pouvons tisser organiquement les mailles d’une nouvelle peau depuis l’épaisseur de l’expérience artistique, du vivant ! 


Plus concrètement, nous menons donc 4 stages-laboratoires artistiques, où nous explorerons le mouvement entre intime et politique, à travers de nombreuses pratiques : éducation populaire, clown, pratiques somatiques (bmc, mouvement authentique, life art process), poésie, performance, théâtre, danse, chant…. Nous arrivons avec une boîte à outil, et proposons aux participant.e.s un cheminement tressé de fil en fil.

Il y a aussi des espaces de création collective, et à chaque labo : un rituel et une performance résonnant avec le thème du labo et la saison. Certaines performances ont lieu entre nous, d’autres ont lieu avec des personnes témoins – des allié.e.s, quant à la dernière : elle reprend la rue et est ouverte au public.

De l’éloge de nos vieilles peaux en automne, à nos mythes-aux-logis d’hiver, en passant par l’érotisme du vivant printanier, nous finissons par acter la mue au grand jour en plein soleil de juin !
A l’heure actuelle, nous avons déjà mué deux fois : l’an passé à Saint-Etienne, et cette année à Lasalle (dans les Cévennes). L’an prochain, à partir d’octobre, nous entrons à nouveau en mue….dans le Jura.

C’est vraiment un espace qui est ouvert à toute personne non-homme cisgenre, qui se sent en appétit de vivre ça. Il n’y a pas de pré-requis, à part avoir de l’appétence pour plonger dans l’exploration et pour les outils qu’on propose ! Au contraire, ce que nous aimons, c’est créer des groupes pluriels, riches de parcours divers et de corps vivants différents ! 

Pourquoi l’intime et le politique ?

C’est un leitmotiv que les féministes des mouvements de libération des années 70 clamaient déjà haut et fort. Briser la frontière de l’intime et du politique est le moyen de ne pas faire des violences subies dans la sphère « privée » et des injonctions à des rôles restrictifs, des affaires du « domaine privé » qui ne regardent que celleux qui les subissent.  

Aujourd’hui le chemin est encore à faire, à refaire, à ré-aiguiller, à marcher !

Il y a eu des avancées, mais les violences perdurent, et les assignations nous collent à la peau… La mue est à plusieurs étages et temporalités. Et nous avons le désir de nous libérer – vraiment. 

L’intime est politique, et le politique est un facteur agissant de l’intime, que l’on en soit conscient·e ou non. L’un et l’autre sont inséparables, bien que notre société adore tout cloisonner !

Dans Mûe, nous sommes à cet endroit où l’on ne sépare pas, on l’on se risque à déjouer les imbrications et où : reprendre notre pouvoir passe par cette articulation de nos individualités au collectif. Nous ne sommes pas des ilôts décroché.e.s de toute histoire sociale, de tout contexte socio-économique et politique. Et nous ne sommes pas non plus des êtres sociaux déterminé.e.s, sans mouvement singulier, vécu ou ressentis propres. Ainsi comment s’émanciper individuellement ET collectivement – car l’un sans l’autre ou l’autre sans l’un n’ont aucun sens – sans politiser nos intimes, sans comprendre que ce qui se joue chez nous est pris dans des fils qui sont tirés depuis des systèmes à faire vaciller ? Comment s’émanciper collectivement sans donner place à nos ressentis, nos sensations, nos imaginaires, nos affects, nos relations, nos poésies, nos informels, nos univers, nos élans ? 

Nous sommes des êtres vivants entiers, multiples et singuliers ; nous ne pouvons pas nous scinder pour répondre à un système mortifère. Nous sommes aussi intimement convaincues que la poésie est un raz de marée restructurant, clarifiant et visionnaire. Et parce que l’art, nos corps, les livres, le rituel et nos vécus partagés sont les meilleurs moyens que nous connaissions pour nous réinventer, nous faisons le parti de nous écrire nous-même, comme les « fictions politiques vivantes » que nous sommes (cf Paul B. Preciado). 

A cet endroit, le rituel est central. Les rituels ancestraux étaient l’occasion d’acter de véritables passages dans la vie des êtres, de marquer une chronologie cyclique avec les changements de saison, de réunir la cité ou la communauté, de préparer les transitions, le changement. Nous sommes revenues convoquer la magie et le rôle profondément politique des rites païens. Nous confier à l’empuissancement de ces moments où l’on s’allie à l’invisible, à l’inter-espèce, aux végétaux, à la terre, aux autres pôles de la planète. Ce sont des espaces fragiles dans notre société occidentale où les religions ont fait des dégâts, où la sorcellerie a été décriée mais où aussi il y a une recrudescence de spiritualité et d’ésotérisme de toute sorte !
C’est pour cela que nous tenons à marier cela de dérision, de sacrilège, de sacré sacrilège.
Et bien entendu de partir de ce qui résonne en nous, l’immanence dont nous parle Starhawk dans son merveilleux livre « Rêver l’obscur » .

Après, ce qu’on fait c’est qu’on n’en reste pas à l’exploration dans le groupe. On va donner à voir, ressentir ce qu’on a touché, soulevé, dans nos détissages et nos retissages !
C’est assez fort de faire tout cela à chaque fois en 5 jours, d’une certaine manière on n’a pas le temps de se poser de question, on plonge, on prend la vague, on s’émulsionne, on vit des choses des fois déstabilisantes ou de vraies découvertes sur nos histoires, nos capacités, nos liens, nos prises de conscience….et on performe cela pour un public. 

On va transpirer sur le dehors, on va s’étaler dans l’espace commun, dans la place publique.
Les personnes que l’on invite, on leur propose d’être à la fois témoins, comme des corps qui nous renvoient ce qu’on est en train de vivre ; mais à la fois aussi d’être bougé·es – c’est l’occasion de se laisser infuser de la mue que d’autres sont entrain de vivre, de se prendre un petit « shoot » intense par capillarité. Surtout sur la dernière performance, qui est vraiment pensée comme un rituel décalé en plusieurs étapes, où l’on reprend la place publique, là le public est invité à un moment de « passage ». Qu’en va-t-il faire, c’est iel qui décide de sa plongée ; mais les retours que nous avons c’est que cela transpire et vient (é)mouvoir, parfois inopinément ! A ce moment, nous sommes absolument dans un acte politique, qui part totalement de nos intimes et qui convoque ceux des témoins, formant une assemblée marchant à nos côtés, vivant ensemble un moment de catharsis, de jaillissement, de spreading et d’inscription collective dans la matière : d’un tournant, d’un revirement, d’une extrance, d’une aube, d’une mue. 

Photographies : Sandy Ott

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