Beauté ou laideur du sexe féminin : de sa représentation à la nymphoplastie – Claudine Sagaert

Les parties « honteuses »

Dans les peintures et sculptures, de l’Aphrodite du Cnide de Praxitèle (IVe siècle) à la Venus Anadyomène d’Ingres (XIXe siècle), on peut constater que le sexe féminin a le plus souvent été caché par une main, des cheveux, une feuille de vigne, un drapé, ou figuré par un triangle informe laissé totalement lisse1Outre quelques exceptions comme la Vulva de Léonard de Vinci, l’Infâme Vénus de Jean Jacques Lequeu, et la Diane Chasseresse de Houdon..  Or, si l’idéalisation du corps a prévalu, en biffant cette partie de l’anatomie féminine n’était-ce pas en présupposer la laideur tant physique que morale ?  Serait-ce dire alors que les parties dites « honteuses » aient concerné plus spécifiquement la femme que l’homme ? On serait tenté de le croire si on en juge par le fait que  l’anatomie masculine n’a nullement eu à subir ce type de censure. Les œuvres, entre autres, de Michel Ange, Cellini, Polloiolo, Le Caravage et Guéricault l’illustrent. De ce fait, il faut donc reconnaître que l’art figuratif n’a donné à voir qu’une représentation tronquée, mutilée du corps féminin. D’ailleurs, si L’Origine du monde (1866) de Gustave Courbet a si longtemps paru impudique et le reste pour certains encore aujourd’hui, c’est précisément parce qu’elle révèle ce qui n’a que rarement été montré. Corps sexué sans visage, cette Baubo2Georges Devereux, Baubo, La Vulve mythique, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2011. des temps modernes est à plus d’un titre un  « hymne à la femme et à sa féminité »3Thierry Savatier, L’Origine du monde, Paris, Bartillat, 2015, p. 17.. Sans pudeur, elle expose ce qui appartient au domaine de l’intime et consacre par là même une nouvelle géographie corporelle. Géographie qui ne peut que détonner en comparaison des nudités antérieures, « lisses, épilées, asexuées ou plutôt désexuées »4Ibid. Si cette œuvre est la première qui a restitué à la nudité féminine son paradigme manquant, depuis lors, dans l’art moderne et contemporain la représentation du sexe de la femme a retrouvé droit de cité. Restant cependant très minoritaire en comparaison de la représentation du sexe masculin,  elle est également le plus souvent objet de controverse.

Une image idéalisée et tronquée

D’autre part, si on considère que les représentations sont « le médium essentiel au travers duquel les attitudes collectives se façonnent »5 Michel Vovelle, Christian-Marc Bosséno, « Des mentalités aux représentations », Sociétés & Représentations 2001/2 (n° 12), p. 15-28. DOI 10.3917/sr.012.0015, elles ne sont donc jamais sans influence. Serait-ce dire alors que la représentation du sexe féminin dans l’art ait contribué à en donner une image tout à la fois idéalisée et tronquée  et que cette image intégrée de manière non-consciente dans les esprits, reste une  des principales références que nous pouvons avoir du sexe féminin ? Si tel est le cas, pourrions-nous alors tracer un lien entre cette représentation informe et le regard critique que nombres de femmes portent aujourd’hui sur leur sexe ? Si cette évaluation conduit parfois à décréter leur sexe « affreux », « moche », « hideux », elle est loin d’être anodine puisqu’elle les incite, pour lui redonner belle apparence, à avoir recours à une des chirurgies de l’intime nommée nymphoplastie, labiaplastie ou lifting intime.  Chirurgie qui bien que n’étant pas sans risque, est en progression constante. Elle est d’ailleurs proposée dans plus de 250 cliniques en France. S’il est difficile de connaître le nombre exact de nymphoplasties pratiquées, on en chiffre 4600 en 20166AFP/Martin Bureau cité in Elsa Mari,  Le boom du «lifting de l’intime», 01 juin 2018, http://www.leparisien.fr/societe/sante/le-boom-du-lifting-de-l-intime-01-06-2018-7747131.php.  Selon l’institut international de chirurgie esthétique, 114 135 nymphoplasties, ou labioplasties, ont été réalisées en 2013 dans le monde7http://www.multiesthetique.fr/articles/sexes-feminins-esthetiquement-modifies-le-point-sur-la-nymphoplastie et  193 600 en 20168AFP/Martin Bureau cité in Elsa Mari,  Le boom du «lifting de l’intime», 01 juin 2018, http://www.leparisien.fr/societe/sante/le-boom-du-lifting-de-l-intime-01-06-2018-7747131.php.

Ainsi donc, on peut se demander si au travers de la question des modèles représentationnels susceptibles de permettre d’apprécier la beauté ou la laideur du sexe féminin, n’est-ce pas sous couvert d’une sculpture de soi visant mieux-être et estime de soi,  une réaffirmation de la norme de genre qui est en question ?

Depuis quelques années, l’esthétique du sexe féminin est scrutée, évaluée, jugée.  Certaines femmes le disent « parfait »9Cf. The Perfect Vagina (2008) de Heather Leach et  Petals : Vagina Dialogues (2010) de Beck Peacock., « joli »10Elisa Brune, La Révolution du plaisir féminin : sexualité et orgasmes, Paris, Odile Jacob, p. 97., « beau », d’autres par contre sans complaisance le décrivent « affreux »11http://forum.doctissimo.fr/sante/regles-problemes-gynecologiques/anormale-grandes-levres-sujet_185399_1., « moche »12http://blog-trendy.letudiant.fr/qu-est-ce-que-j-en-sexe/2014/02/19/je-trouve-mon-sexe-moche-et-bizarre-comment-je-gere/, « irrémédiablement laid »13Gerard Zwang, Touche pas à mon sexe, Paris, Jean-Claude Gawsewitch Editeur, 2012, p. 12.. Sur les forums et blogs, des centaines de témoignages de femmes et de jeunes filles, révèlent un certain malaise face à ce sexe jugé inesthétique.  Sadite laideur, traduite par des lèvres « proéminentes »14http://www.multiesthetique.fr/nymphoplastie/questions, « trop longues »15Ibid. ou « pendantes », conduit alors les femmes qui se considèrent anormalement constituées à avoir recours  à la nymphoplastie, soit la résection des petites lèvres. Notons que si ce type de chirurgie peut être relatif à une hypertrophie vulvaire générant  inconfort ou douleur, à notre époque, elle est le plus souvent demandée à cause de nymphes jugées disgracieuses.

Durant ces dernières décennies, trois facteurs ont favorisé l’évaluation esthétique du sexe féminin. En premier lieu, l’épilation intégrale16Cf. Jean Da Silva, Du velu au lisse, Histoire et esthétique de l’épilation intime, Editions Complexe, 2009 ; Stéphane Rose, La défense du poil, contre la dictature de l’épilation intime,  la Musardine, 2010. rendant visible les petites lèvres. En second lieu, le recours à la pornographie17Cf. Richard Poulin, Mélanie Mathieu (collaboration), Pornographie et hypersexualisation, enfances dévastées, Essai, coll. Amares, Les Editions l’interligne, 2011. François Malye et Jérome Vincent dans Le livre noir de l’esthétique, Calmann-Levy, 2013. dans laquelle les actrices présentent des sexes « design », et en troisième lieu les photos de sous-vêtements et de maillots de bain qui découvrent un pubis totalement lisse et plat.

La diversité des formes du sexe féminin

Il n’existe pourtant pas de critères esthétiques objectifs permettant de définir la beauté ou la laideur du sexe féminin et d’en déduire une « normalité » ou une « anormalité ». Les médecins l’attestent. Le sexe féminin présente certes des formes différentes mais bien conformées dans la plus grande majorité des cas. Félix Jayle, dans son ouvrage La Gynécologie, L’Anatomie morphologique de la femme, explique que pour une grande majorité de femmes, les petites lèvres dépassent des grandes et ce de 0, 5 à 3 centimètres18Félix Jayle, La Gynécologie, L’Anatomie morphologique de la femme, Masson, 1918, p. 374.. Odile Buisson souligne quant à elle, la diversité des formes du sexe féminin, diversité qui n’a rien d’anormale. Selon ses propos une «  encyclopédie ne suffirait pas à décrire »19Odile Buisson, Qui a peur du point G ?, Jean-Claude Gawewitch,  2011, p. 92-93. leur variété. Même si la norme n’est « ni médicale, ni statistique, ni empirique »20Cf. Piazza Sara, « La nymphoplastie. Nouvelle modalité de l’insupportable du sexe féminin», Recherches en psychanalyse 1/2014 (n° 17), p. 27-34,  elle n’empêche pas que les femmes n’ayant d’autres références représentationnelles que celles d’un sexe informe, développent malaise et mal être21 Amel Hebbali, La Chirurgie de la vulve, une nouvelle tendance, Métro news, 30/10/2015.. Leur anatomie ne correspond pas au critère de conformité que propose un sexe « design ». Type de sexe, dont la forme notons-le n’est pas sans rappeler celui d’une jeune fille prépubère, antérieur à l’âge de la maturité sexuelle. Sexe, « qu’un chirurgien californien a baptisé « Barbie »22Alain Froment, Anatomie impertinente, le corps humain et l’évolution, Paris, Odile Jacob, 2013, p. 212. parce qu’il est assimilé à une vulve  « plate, sans aucune protrusion en dehors des grandes lèvres »23Lih Mei Liao, « Requests for cosmetic genitoplasty: how should healthcare providers respond? », BMJ, British Medical Journal, vol. 334, no 7603,‎ 26 mai 2007, p. 1090–1092.. Sexe d’autant plus « mignon » ou « joli » » qu’il se présente « sans irrégularité », « aseptisé, domestiqué, civilisé »24Piazza Sara, « La nymphoplastie. Nouvelle modalité de l’insupportable du sexe féminin», Recherches en psychanalyse 1/2014 (n° 17), p. 27-34., rajeuni, « net, plus propre, carré »25Ibid.. Sexe jugé esthétiquement « beau » car désexualisé. Sexe à l’image par exemple des photos produites par la marque de lingerie Jane Pain. Marque qui soulignons-le, a obtenu grâce à un visuel pour le moins dérangeant,  le Lápiz de Oro, un prix argentin récompensant les meilleures publicités. Ces clichés dévoilent des mannequins nus jambes écartées dont le sexe est englouti, comme coupé par la pliure du magazine. Si cette « excision symbolique en dit long sur notre époque »26Sophie Gourion,   Le marketing du vagin: quand le marché de la beauté s’attaque à l’intime, 12 octobre 2012, http://www.slate.fr/story/62121/marketing-vagin-beaute elle est somme toute conforme à la représentation qui dans l’art jusqu’à la fin du XIXe siècle a été gommée, effacée,  rendue informe.

Encore un tabou

Pourtant cette représentation du sexe diffère en tout point de ce que nous donne à voir l’art contemporain. Le travail du plasticien Jamie Mac Cartney27Cf. http://www.jamiemccartney.com/main/works/C1 l’illustre. Au travers de La grande muraille des vulves, il présente des  moulages tous dissemblables de 400 sexes de femmes de 18 à 76 ans. D’autres travaux plastiques offrent aussi de nouveaux modèles représentationnels. Pensons ne serait-ce qu’aux dessins de Denis Bocquet, Thomas Huber,  et Petra Collins, aux broches de Carole Deltenre, ou aux sculptures d’Isabella Chiariotti. Ces travaux qui ne manquent jamais de susciter la polémique, révèlent qu’au XXIe siècle, la représentation du sexe de la femme reste encore un des tabous majeurs.

Une image de la société

Certes dans toutes les sociétés, le corps non transformé, le corps brut est le corps de la brute, et comme l’a montré Marcel Mauss dans son Manuel d’ethnographie, l’ornementique28Marcel Mauss, Manuel d’ethnographie, Paris, Editions Payot et rivages, 2002, p. 140. est l’incorporation d’une esthétique surajoutée au corps. Le corps humain est donc le premier objet décoré sur lequel  est  sculptée une image de la société. À notre époque cependant, tout individu en vue d’une meilleure estime de lui-même peut se sculpter un corps à soi, mais encore faut-il que cette signature échappe à un processus de normalisation.  Pour cela, ne nous reste-t-il pas la possibilité de penser ce que la norme fait de nous et de quelle manière nous pouvons prétendre à une normativité seule susceptible de participer à la création d’autres normes ?

 

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