La profession de serveuse ou l’histoire d’un métier invisible

Les serveuses font partie de ce que l’on appelle les « cols roses » (qui diffèrent des « cols blancs » et des « cols bleus). Ruth Milkman les définit comme un type de travail spécifique aux femmes « mal rémunéré, peu prestigieux et offrant peu de perspectives d’avancement » 1Milkman ; 2014. Le travail invisible ou invisible labor peut être défini comme effectué sans que personne ne s’en rende compte : il n’est pas perçu pour lui-même, la seule chose tangible en est le résultat. Ce travail invisible est souvent genré et, est majoritairement féminin. Celui-ci concerne au départ les tâches domestiques effectuées par les femmes à l’intérieur des foyers. Cependant, il prend aujourd’hui de nouveaux visages. Entrent dans cette catégorie les aides à domicile, les étudiants non rémunérés lors de stage etc…

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Laisser rentrer les monstres

Quel grand moment d’émotion lorsque Julia Ducournu a remporté la palme d’Or à Cannes le 17 juillet 2021 pour son film Titane. Il y a eu la puissance du moment, Julia Ducournu étant la deuxième femme réalisatrice à obtenir une Palme d’or après Jane Campion en 1993 pour La leçon de piano et il y a eu la puissance des mots. Julia Ducournu a ainsi revendiqué dans un discours fort la monstruosité : « La perfection ce n’est pas que c’est une chimère, c’est que c’est une impasse. C’est une impasse. La monstruosité, qui fait peur à certains et qui traverse mon travail, c’est une arme et une force pour repousser les murs de la normativité qui nous enferment et nous séparent ». En entendant ce mot « monstrueux », j’ai tout de suite pensé à l’ouvrage de Paul B. Preciado sorti en 2020 Je suis un monstre qui vous parle aux Editions Grasset et qui évoque notamment la transidentité et la transexualité. Deux fois que la figure du monstre est publiquement convoquée, mais avec quels enjeux ? À quelles fins ? Le monstre est la figure qui se construit en contre-point d’un stéréotype hégémonique incarné dans un corps normé : blanc, mince, jeune, sans handicap… Convoquer le monstre, le faire sortir de nos cauchemars c’est convoquer la possibilité d’une pluralité, c’est revendiquer le droit à la visibilisation et à la non discrimination, c’est rendre visible l’invisible à des fins politiques.

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Tenue correcte exigée

LOOKISME ET EMPLOI, UN CAS AUTOBIOGRAPHIQUE

J’ai ce qu’on appelle un look excentrique, que d’aucun·e·s qualifient aussi d’original ou d’atypique. Par « look », j’entends à la fois l’apparence du corps (sa morphologie), mais aussi la façon de le mettre en valeur, que ce soit par le biais du vêtement, du maquillage, de la coiffure, ou encore des modifications corporelles (piercings, tatouages, chirurgies esthétiques, etc.). Corps massivement tatoué — visage compris — et percé, cheveux de couleur vive, garde-robe exclusivement rose : pas de doute, j’incarne une certaine excentricité, c’est à dire un écart à des normes en vigueur dans certains contextes. Un écart qui se fait particulièrement ressentir dans le monde du travail — qu’il s’agisse de celui de l’art, de la culture, de la santé, et même de l’université —, où mon apparence a souvent fait l’objet de réticences, voire de rejet de la part d’employeur·se·s craignant pour l’image de leur structure ou évaluant mes compétences à l’aune de ce look atypique. L’excentricité physique étant une caractéristique de l’adolescence, manifestant le besoin de se démarquer, de se construire comme individu·e1David Le Breton, 2002. Signes d’identité. Paris, Métailié, p. 21., c’est souvent ainsi qu’elle continue d’être perçue chez les adultes, renvoyant à un manque de maturité ou à un désir tenace de confrontation avec l’ordre, malvenus dans le monde du travail.

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Quand les pôles dansent. Témoignages d’une pratique en mouvement

Face aux systèmes de pensée dominants, nous ne sommes pas égaux et la pole dance le souligne malgré elle, car sa pratique engendre des suspicions : un homme qui pole serait-il gay ? Une femme aisée, aurait-elle des mœurs fragiles ? Une femme pauvre, serait-elle une prostituée ? Et si celui ou celle qui pole n’est pas blanc·he ; une personne noire réactualiserait-elle des clichés exotisants ? Qu’en est-il de celles et ceux dont les corps ne correspondent pas aux normes ? 

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Sociologie des amours enfantines : entretien avec Kevin Diter

Kevin Diter est sociologue. Il a soutenu une thèse en 2019 intitulée  « L’enfance des sentiments. La construction et l’intériorisation des règles des sentiments affectifs et amoureux chez les enfants de 6 à 11 ans ».
Actuellement, il travaille pour l’enquête ELFE du ministère de la culture et continue dans ce cadre son travail sur la culture des sentiments chez les jeunes enfants. Ses domaines de spécialité sont la sociologie de la socialisation, la sociologie des enfants, de la famille, du genre et des différenciations sociales.

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(Dé)construire le diagnostic d’anorexie mentale

    Lorsque je rencontre Anaïs, nous sommes en septembre 2016, elle a 19 ans et entame sa seconde année de Licence de sociologie au sein d’une université parisienne. Elle me donne rendez-vous dans le 15e arrondissement où elle vit. Cette rencontre s’effectue dans le cadre de ma recherche de master portant sur les pratiques alimentaires des jeunes femmes végétariennes. Dans ce contexte, Anaïs se présente d’abord comme « végétarienne depuis un an et végane depuis quatre mois ».

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Qui est la Féminazi ?

Dans l’ouvrage “Penser la violence des femmes”, il est relaté une partie de l’histoire de femmes violentes, de la chasse aux sorcières jusqu’aux suffragettes, en passant par les tricoteuses. Comment la violence est-elle traitée par le prisme du genre, sachant que ce n’est généralement pas considéré comme étant une caractéristique “féminine” que d’être violent ? Les injonctions sociales valorisent davantage la douceur et la passivité chez les femmes, contrairement aux hommes, qui sont supposés exprimer leur virilité par les poings. Si bien que certaines formes de violences féminines peuvent être passées sous silence ou, a contrario vont être exacerbées, et entourées de tout un imaginaire (notamment visuel), pour tenter de les décrédibiliser et de les humilier. Lire la suite

Illustration n°1 : Les organes génitaux de la femme vus par le docteur André Du Laurens.

Le corps féminin : un corps d’usage social dépossédé ? – Céline Debruille

Qu’est ce que le corps féminin, qu’est ce qu’ « une femme » ?

Durant l’Antiquité, la médecine grecque développée par Hippocrate, Aristote, Avicenne ou Galien considérait que les organes génitaux féminins étaient une inversion des organes génitaux masculins. Dans son ouvrage De l’utilité des parties du corps humain, Claude Galien, médecin grec du IIe siècle de notre ère, considérait que toutes les parties du corps de l’homme se retrouvaient chez la femme, à l’image d’un homme inversé ; « figurez-vous les parties [génitales] qui s’offrent les premières à votre imagination, n’importe lesquelles, retournez en dehors celles de la femme, tournez et repliez dedans celles de l’homme, et vous les trouverez toutes semblables les unes aux autres »1LAQUEUR, Thomas. (1992/2013). La fabrique du sexe. Essai sur le corps en Occident. Paris :Gallimard. (Making sex, body and gender from the Greeks to Freud, 1990). L’ouvrage de Thomas Laqueur a été publié en 1990, traduit en français en 1992 puis réédité en 2013. pp.42..

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Émotions et intersectionnalité : Au corps et au cœur des luttes – Julien Quesne

I have…striven faithfully to give a true and just account of my own life in Slavery…to come to you just as I am a poor Slave Mother—not to tell you what I have heard but what I have seen— and what I have suffered.
– Harriet Jacobs (1861/1987, p. 242)

Ces mots d’Harriet Jacobs ne trompent pas, ils témoignent de sa propre souffrance, celle éprouvée et éprouvante d’une mère, d’une femme noire réduite en esclavage et qui révèle avec force, à partir de ce fragment de mémoire, l’histoire d’un vécu qu’elle ne tient que d’elle-même. Lire la suite