De patient·e à soignant·e, s’aider soi-même et aider les autres.

Au moment où j’écris, je m’apprête à commencer la troisième année de ma licence de psychologie, et mon avancée vers le métier de psychologue devient de plus en plus concrète. Pourtant, simultanément, je continue un tout autre travail bien plus personnel : celui de guérison d’années de traumatismes psychologiques et émotionnels vécus depuis mon enfance.

J’appréhende d’ailleurs de parler de ces deux choses en même temps, car j’ai toujours peur qu’on qu’on m’accuse de ne pas pouvoir devenir psy si je suis moi-même atteinte de troubles de la santé mentale. Cependant, si j’ai enfin repris mes études pour entamer ce projet en psychologie, c’est bien grâce à la thérapie commencée pendant mes années de hiatus scolaire. De mon point de vue, l’expérience de patient.e ne peut qu’ajouter une empathie assez cruciale et malheureusement parfois encore manquante dans le domaine de la psychologie et de la psychiatrie.

La patiente que je suis scrute la thérapeute que j’essaie de devenir. Elle l’implore de ne pas oublier ce que c’est d’être dans cette position de personne ayant besoin d’aide pour mieux vivre avec soi-même. Elle la supplie de ne pas se reposer sur les lauriers de la théorie et de l’académisme, hors de portée de toute remise en question et de toute empathie.

Pourquoi être patient·e devrait empêcher d’être soignant·e ?

Avant même d’étudier les troubles et leurs symptômes, en vivre certains, c’est connaître l’isolement dans lequel ils peuvent nous mettre.

Avant même de connaître les classifications, c’est d’en ressentir les émotions.

Avant même de porter un regard sur l’autre, c’est d’avoir constamment peur de celui qui pourrait se porter sur soi.

Avant de diagnostiquer les autres, c’est d’avoir tâtonné à se diagnostiquer soi-même pour mieux se comprendre.

Avant de chercher à respecter une distance thérapeutique, c’est d’avoir eu à accepter la vulnérabilité dans laquelle on se met quand on décide de parler.

Je suis encore dans un long travail de réflexion, de communication et d’acceptation de mes propres traumas. Mes parents buvaient et étaient enfermés dans une relation toxique et violente qui ne laissait pas de place pour des émotions et des besoins d’enfant. Mon enfance et mon adolescence ont été rythmées par de nombreux deuils et des traumas quasi-quotidiens, culminant au décès de mon père quand j’avais 15 ans et de celui de ma mère quand j’en avais 21, tous deux par des cancers foudroyants. Ça m’a laissée avec un syndrome de Stress Post-Traumatique Complexe (C PTSD en anglais, ce qui qualifie un PTSD qui n’est pas relié à un seul évènement traumatisant mais à une série de plusieurs moments traumatisants), une anxiété généralisée et une certaine tendance à la dépression.

Et même si ces aspects de ma vie me coûtent beaucoup d’énergie, de temps et d’argent pour mieux vivre avec, je les considère aussi comme des atouts pour mon étude de la psychologie. Ils me demandent de prendre du temps pour ma reconstruction, mais ils me donnent envie de faire tomber le tabou qui existe encore autour de la prise en charge psychologique.

J’aspire à ce que mon étude et ma pratique de la psychologie se fassent avec une attention particulière à l’individu dans l’entièreté de son identité et de ses expériences. Mon vécu en tant que patiente bisexuelle et polyamoureuse qui a mis du temps avant de se sentir en sécurité pour parler de cet aspect de ma vie pendant les sessions ne sait que trop bien l’importance de trouver un·e psychologue qui soit ouvert·e et un minimum informé·e sur le sujet. Il en va de même pour toute autre catégorie de personnes marginalisées à cause de leur identité de genre, leur situation de handicap, appartenance ethnique, culturelle ou religieuse, orientation sexuelle, traits et tailles physiques…. 

Le racisme, l’homophobie, la transphobie, la grossophobie, le validisme ou tout autre forme de discrimination doivent être pris en compte lorsqu’on veut soigner des personnes. Il me semble vital d’avoir une attention particulière pour les personnes marginalisé·es afin de leur rendre ces soins plus accessibles et pertinents. Or, cette discussion ne peut se faire sans d’abord écouter la parole des personnes concernées, et ce avant même qu’elles ne s’adressent à vous en tant que patient·es.

La patiente que je suis cherche des voix concordantes sur internet pour mieux se comprendre et se sentir moins seule, l’élève de psychologie reste attentive aux récits différents du sien pour étayer son apprentissage théorique et ne pas se mettre à distance de ces autres vécus. Chaque vécu façonnera la thérapie d’une façon spécifique, le mien y compris. Il serait bénéfique qu’on arrête de mettre les soignant·es sur un piédestal qui nous empêche de leur imaginer des faiblesses et des besoins, en les mettant parfois dans le rôle de patient·e.

En tant que patiente, quand ma psychologue mentionne son propre travail de thérapie, ça me rassure et ça m’encourage à poursuivre mon chemin. Je sais qu’elle ne parle pas juste depuis les lignes d’un manuel ou depuis la position de tel.le ou tel.le théoricien.ne. Le savoir des soignant·es est trop souvent utilisé pour leur conférer un pouvoir sur les patient·es, qui n’aide pas et dont on peut trop facilement abuser. Les patient.e.s connaissent leurs corps, leurs émotions et leurs vies mieux que quiconque. Sans prendre en compte ce savoir des patient·es, celui des soignant·es ne peut être que tyrannique. En psychologie et psychiatrie, cela prend la forme de la psychophobie et vient s’ajouter aux autres potentiels de discrimination évoqués précédemment. La collaboration active entre patient.e et soignant.e permet à tout le monde de gagner en perspective, aux soignant.e.s d’éviter les écueils des biais et des préjugés, et le résultat ne peut en être que plus pertinent.

Ainsi, la patiente d’aujourd’hui qui apprend à s’aider et à s’aimer aimerait envoyer un message à la potentielle thérapeute de demain : ne m’oublie pas et ne me dénigre pas, ton travail n’a pas de sens sans le respect dû aux gens comme moi.

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