metro de Mexico (Wikipedia)

Le frotteurisme dans le métro de Mexico : entretien avec Nicolas Balutet

  1. Qu’est-ce que le frotteurisme et pouvez-vous nous expliquer en quoi est-ce un problème dans le métro de Mexico ?

Le frotteurisme désigne une pratique sexuelle consistant pour un homme généralement à frotter ses parties intimes à une femme sans son consentement dans des lieux de promiscuité physique comme les discothèques, les files d’attente et, surtout, les transports publics et, ainsi, obtenir une excitation érotique. Sont concernés particulièrement les jeunes hommes de 15 à 25 ans, plutôt timides, qui ont du mal à trouver une petite amie ou connaissent de fréquentes pannes sexuelles. Concernant le métro de la capitale du Mexique, s’il est considéré aujourd’hui comme l’un des plus sûrs au monde du point de vue technique, il est, après celui de Bogotá en Colombie, le deuxième réseau le plus dangereux pour les femmes. Chaque année, la régie des transports enregistre une moyenne d’environ 300 plaintes pour agression sexuelle dans le métro avec un pic en 2016 (671 cas), un chiffre qui est certainement très inférieur à la réalité des attaques car toutes les victimes ne déposent pas plainte. Soixante-cinq pour cent des femmes utilisant les transports publics à Mexico (métro et bus) reconnaissent, en effet, avoir été victimes d’une forme d’agression comme des regards déplacés, des mots obscènes ou bien du frotteurisme qui, en 2016, représentait plus de 78% des agressions sexuelles recensées.

  1. Quelles sont les mesures qui ont été mises en place ?

Face à ces agressions facilitées par la saturation du métro de Mexico (il se situe en la matière derrière celui de New Delhi en Inde avec, aux heures de pointe, six personnes au m2), le gouvernement de la ville de Mexico et la régie des transports avaient décidé, dès 2008, de réserver les wagons de tête aux femmes, aux enfants de moins de douze ans et aux personnes âgées aux heures de pointe (6h-10h du matin et 17-22h). Plus récemment, le 25 avril 2016, fut mis en place le plan « Stratégie 30-100 contre la violence envers les femmes dans le transport et les espaces publics ». Il s’agissait d’adopter des mesures autour de cinq axes (la sécurité des femmes et des filles dans les transports, l’assistance aux victimes, l’accès à la justice, la promotion du droit des femmes à vivre sans violence, l’incitation à déposer plainte), dont les résultats seraient visibles à 30 et à 100 jours. Concrètement, le nombre d’agents des forces de l’ordre fut augmenté dans toutes les stations (près de 1 500 personnes), de même que les caméras de vidéo-surveillance, les mécanismes de séparation entre hommes et femmes dans les transports furent renforcés, une meilleure signalétique fut installée, à l’instar de boutons de demande d’aide, près de 40 000 sifflets furent distribués pour alerter les autres usagers en cas d’agression, certaines stations furent équipées de modules d’assistance aux femmes, etc.

  1. Qu’est-ce que le grand « arrimón » qui était prévu le 4 mars ?

Il s’agit d’un épisode qui a fait beaucoup de bruit dans les médias mexicains il y a près de deux ans. Fin février 2017, le chef du gouvernement de la capitale mexicaine, le directeur de la régie des transports et la directrice de l’Institut des Femmes furent alertés que circulait sur Facebook et Twitter une invitation à participer à un grand « arrimón », terme populaire du frotteurisme au Mexique, le samedi 4 mars 2017. Mille personnes indiquaient alors leur souhait de participer à cette manifestation dont le logo est très explicite (une femme est inclinée de dos à un homme présentant un sexe en érection) qui devait se dérouler sur la ligne 1, entre la station Pantitlán, celle qui connaît la plus forte affluence du réseau en raison de la correspondance de quatre lignes, et la station Observatorio. Le rendez-vous était fixé à trois heures de l’après-midi dans l’avant-dernier wagon. L’organisateur (un certain Alberto Mendoza, vraisemblablement un pseudonyme) était optimiste puisque, dans son message, il envisageait la possibilité de s’étendre à d’autres voitures.

  1. Les autorités ont-elles réagi ?

Oui, la réponse des autorités fut très rapide. Une députée de l’État de Mexico demanda tout d’abord que les instances gouvernementales remettent en place le « Code rouge », un plan qui avait déjà fait ses preuves dans la lutte contre les pickpockets, véritable fléau des transports publics mexicains. Sans aller jusque-là, les autorités de la capitale convoquèrent une conférence de presse et condamnèrent la manifestation pour violence contre les femmes, tout en rappelant que le frotteurisme constituait un délit selon l’article 179 du Code pénal de la ville de Mexico, passible d’une peine de prison (un à six ans).

  1. L’ « arrimón » a-t-il eu lieu ?

Non. Face à l’ampleur de la réaction, l’organisateur de l’ « arrimón » déprogramma la manifestation avant que n’apparaisse une nouvelle invitation, provenant peut-être d’autres personnes, qui, dans un geste de défi et de provocation, convoquèrent une manifestation similaire pour le 8 mars suivant, journée mondiale des droits des femmes. Le samedi 4 mars comme le mercredi 8 mars, les 75 policiers et agents du métro appelés en renfort pour surveiller les installations du métro ne constatèrent rien d’anormal.

  1. Comment l’événement a-t-il été traité par les médias ? Et par les politiques ?

Les médias relayèrent largement cette affaire mais certains ne prirent pas la pleine mesure de la violence de l’événement. J’en veux pour preuve, par exemple, un encart du journal Milenio, pourtant sérieux, qui classa cette pratique dans les « nouvelles tendances ». L’invitation du 4 mars jouait, en effet, sur l’ambiguïté dans la mesure où la manifestation était présentée comme exclusivement destinée à des personnes consentantes. Sans porter de jugement sur cette pratique dans ce strict cadre-là, on peut s’interroger, cependant, sur l’appropriation de l’espace public pour des agissements sexuels qui peuvent heurter la sensibilité de personnes non prévenues y assistant par hasard. Et, surtout, ce genre d’initiative, sous couvert de consentement des parties, participe à légitimer finalement des conduites misogynes. Dans le texte accompagnant l’annonce, la femme est ainsi mise sur le même plan qu’une bouteille d’alcool : « On projette de faire une fête ensuite et la condition serait d’apporter des filles ou des bouteilles ». Concernant les politiques, ce malheureux épisode incita le gouvernement de l’État de Mexico à élaborer une nouvelle campagne à destination des hommes spécifiquement. À la fin du mois de mars, furent lancés le hashtag #NoEsDeHombres (« Ce n’est pas digne d’un homme ») et une vidéo de quinze secondes dans laquelle se succèdent les visages de cinq hommes aux regards concupiscents accompagnés de la phrase, « Voilà le regard malsain avec lequel on fixe ta copine (ta sœur, ta mère, ton amie) tous les jours ». L’idée était de faire prendre conscience aux hommes de la violence sexuelle subie chaque jour par les femmes et que le respect qu’ils portent aux femmes de leur entourage doit être le même envers les inconnues qu’ils croisent dans la journée. Prolongeant cette campagne, deux autres vidéos « expérimentales » tournées au sein même du métro eurent encore plus d’impact, au point de devenir virales. La première, baptisée « Expérience Siège », consistait à observer les réactions des usagers du métro, en particulier les hommes, face à un siège présentant les caractéristiques physiques d’un homme (torse nu et pénis) tandis qu’un texte sur le sol expliquait que « c’est dérangeant de voyager ici, mais ce n’est rien comparé à la violence que subissent les femmes lors de leurs déplacements quotidiens ». La seconde vidéo, « Expérience Écrans », projetait sur des écrans les fessiers de plusieurs hommes afin de montrer la vulnérabilité que ressentent les femmes quand elles sont regardées de façon insistante. Il est encore trop tôt pour évaluer la portée psychologique réelle de ces nouvelles campagnes. En revanche, il convient de souligner la rapidité des réponses apportées par les autorités de la ville de Mexico qui traduisent, une fois de plus, leur volonté de sensibiliser les usagers des transports publics, en particulier les hommes, aux violences sexuelles que les femmes subissent quotidiennement, que ce soit au sein des infrastructures du métro ou dans tout autre espace public voire privé.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.