En vacances à Mayotte1Dans l’océan indien occidental, Mayotte est située en Afrique de l’Est dans le canal du Mozambique et fait partie de l’archipel des Comores. Elle a été peuplée par divers vagues migratoires venus d’Afrique avant l’islamisation des côtes Est-Africaines, puis des migrations venues d’Asie du Sud-Est, ensuite d’Asie du Sud-Ouest et plus récemment par des migrations européennes. La culture et le phénotype africain est majoritaire chez les mahorais dont nombreux·ses sont de confession musulmane., au mois de septembre 2020, j’ai vécu une situation qui m’a laissé à la fois un goût sucré, salé, poivré, voire étrange, dans la bouche et une impression de déjà vécu dans le corps. En y repensant, je qualifierai cette rencontre de magique, c’est-à-dire, « un charme provoqué par quelque chose qui est profondément ressenti sans toujours être raisonné »2Définition du CNRTL.fr https://www.cnrtl.fr/synonymie/magie. En l’espace de moins d’une heure, j’ai vécu un mirage délicieux, troublant et chaotique avec un scorpion3Il existe cinq types de scorpions en Arabie, conf : https://www.arabiaweather.com/fr/content/les-cinq-scorpions-les-plus-dangereux-des-terres-d39arabie-saoudite-et-de-la-pninsule-arabique se présentant comme corse et tunisien. Cependant c’est l’identité arabo-musulmane qu’il choisit de mettre en exergue.
Sous l’effet du soleil, presque à son zénith à ce moment-là, sans doute sous l’influence des hormones, ajoutées, peut-être, à ma sensibilité anthropologique pour l’exotique, sa virilité m’a frappée au visage comme le parfum suave de l’ylang-ylang. Dieu merci c’était réciproque !
Nous étions en train de faire la queue sous la véranda d’un centre de dépistage du Covid 19 afin de pouvoir voyager deux jours plus tard. Je l’ai vu la première. Il était derrière moi dans le sens de la file d’attente. Quatre personnes nous séparaient l’un de l’autre.
Il était de dos pendant que je l’observais, méticuleusement, comme si, je voulais toucher sa peau à travers ses vêtements. Mes yeux parcouraient sa colonne vertébrale, depuis le bas du dos, en remontant par son cou jusqu’à ses cheveux. Sa chemise était trempée par la transpiration. Je lui imaginais une odeur boisée.
Sa chevelure frisée, couleur châtain, balançait dans le vent. Cette texture m’a fait penser à des origines africaines. L’association de tous ces éléments, la proximité de l’air marin et mon esprit enjoué ce jour-là, ont eu l’effet d’un puissant aphrodisiaque sur mes sens. J’étais en pleine adoration lorsqu’il se retourna.
Nos regards se sont spontanément croisés. J’ai ressenti une intense et vive connexion psychique et physique comme s’il avait senti mon désir. Il y eût quelques secondes de saisissement mutuels. Ses yeux bleu clair me disaient « c’est toi qui me regardes, n’est-ce pas ? ». J’étais gênée comme une enfant surprise en train de voler des bonbons et, à la fois heureuse de le voir de face. Masqués, nos yeux étaient plongés l’un dans l’autre pour lire nos expressions communes.
Pendant environ trente minutes, nous avons eu une discussion riche et animée au cours de laquelle, nous fîmes plus ample connaissance. L’ensemble des personnes présentes nous écoutait, nous, nous faisions comme si nous étions seuls au monde. Je lui demandais ce qu’il était venu faire à Mayotte et si c’était son premier voyage. Il répondit par l’affirmative. Il venait de La Réunion. Il était corse et tunisien par son grand-père paternel. Je lui dis que je connaissais bien la Corse. Il était plus qu’étonné !
Il existe un rejet et une animosité envers les mahorais.e.s chez de nombreux réunionnais.e.s. Ces dernier.e.s perçoivent les premier.e.s comme des personnes arriérées, sales et sans instruction. J’avais senti un léger mépris, un sentiment de supériorité de sa part et en même temps de la curiosité. Il me questionna sur le motif de ma présence sur l’île de beauté. Je lui expliquais tout en lui citant les villes par lesquelles j’étais passée. Je lui parlais également de la culture locale et du héros national Pasquale Paoli, le « libérateur » qui s’est battu pour l’indépendance. Puis, je lui ai demandé son numéro de téléphone sans lui donner le mien et partit par la formule suivante « je vous appellerai ».
Il semblait conquis par cette mahoraise, charmante, instruite et audacieuse. Les jours suivants cette première rencontre, nous continuâmes à échanger jusqu’à notre voyage pour La Réunion, au cours duquel, nous avions pris le même avion. Spontanément nous nous sommes assis l’un à côté de l’autre.
A la suite de ce voyage, cette situation a bouleversé aussi bien mes croyances sur les arabo-musulmans, l’islam, le métissage, mon corps, les rapports de séduction femmes et hommes que mon africanité. Lors de cette rencontre, j’ai senti un rapport de force latent comme s’il valait mieux ne pas aborder les sujets fâcheux.
L’islam tolère l’esclavage des non-musulman.es tout en conseillant leur affranchissement. La traite des Noirs, vers les mondes arabes, a duré plus de treize siècles. Encore aujourd’hui dans ces régions, le statut des noires et des descendant.es de personnes en servitude, est problématique. Il semble ne pas y avoir de cultures noires spécifiques comme aux Amériques. Les stéréotypes et les discriminations sont bien présents. L’appartenance à la religion musulmane pouvait nous rapprocher comme elle pouvait être un facteur de division. Dans le phénomène d’acculturation il y a toujours une culture prédominante plus qu’une autre. Je n’avais pas l’intention de laisser mon identité africaine être bafouée au nom de l’idéologie islamique.
Par le présent article, je tente de montrer comment la mémoire de l’esclavage interfère dans nos choix amoureux à travers la blanchité comme valeur référentielle du Beau, du Bien et du Désirable à Mayotte. Pour ce faire, je m’appuie sur ma propre expérience de femme, de celles des enquêtes qualitatives auprès de nombreuses femmes d’origine mahoraise et sur la musique populaire diffusée dans les mariages coutumiers. Ce questionnement permet ainsi de comprendre les logiques et stéréotypes sur les personnes noires, avec un phénotype africain et sur les Blancs.
A la suite de cette expérience, je me suis interrogée sur les critères du désir et le lien avec le passé esclavagisé. A Mayotte, le mythe de l’arabe Blanc « civilisateur » de l’homme noir « sauvage, païen et animiste » est encore bien prégnant. Tous ce qui est arabe, Blanc, est valorisé tandis que tous ce qui se rapporte à la couleur noire, aux africains et aux croyances animistes est dévalorisé. L’héritage arabo-musulman jouit d’un puissant prestige tandis que l’identité africaine est rejetée comme une part honteuse de soi-même.
Dans les représentations mahoraises, il existe encore une hiérarchie de couleur. Le colorisme est encore bien prégnant. Il s’observe dans les discours, dans les choix matrimoniaux et lors des naissances. Souvent les parent.es, absents au mariage, demandent la couleur de la peau du marié ou de la mariée. La couleur de la peau du bébé, foncée ou claire, de ses organes, à savoir, les oreilles, la texture des cheveux et les testicules, est le sujet de discussion de la part des grands-mères et des belles-sœurs et autres membres féminins du lignage.
Ainsi, le colorisme s’observe en particulier dans les échanges de la vie quotidienne en situation de familiarité entre les acteurs en présence. Il m’a été difficile d’enquêter directement sur ce phénomène.
Néanmoins, j’expose, ci-dessous, des propos recueillis au cours de discussion en situation informelle qui, montre le discours coloriste et ses nuances dans les rapports sociaux de séduction femmes et hommes.
« Cet homme est noir comme du charbon ». « Elle est noire comme l’encre de poulpe ». « Cette personne est trop noire, on dirait le dessous d’une casserole ». « Je veux une femme rouge-claire comme la papaye avec des cheveux lisses comme une indienne ». « Tes cheveux sont crépus comme un grattoir ».
« Tes cheveux ressemblent beaucoup à des graines de poivre noir ». « Le jour de ton mariage on prendra du défrisant pour les lisser comme ça tu seras belle ». « Commence à appliquer de la crème éclaircissante, du henné et de la poudre de bois de santal sur ton visage comme ça tu seras claire le jour de ton mariage ».
Interview d’une mère âgée de 30 ans, mère de deux enfants.
« En fait, je ne m’y attendais pas qu’il soit aussi foncé. Dans ma tête j’avais mis l’idée que chez son père, ils ne sont pas foncés. Ils ont une couleur de peau assez claire. Je ne connaissais pas une personne foncée chez eux. Donc, je me disais qu’il allait prendre cette couleur claire. Du coup quand je l’ai vu ça m’a étonné. Je me suis dit pourquoi il a pris cette couleur de peau ? Pourquoi, il est aussi noir ? Mais après, il y a des membres de sa famille que je ne connaissais pas qui sont foncés. Alors je me suis dit que même si ses oncles sont noirs, ben c’est normal. Même moi je suis foncée mais j’étais dans l’optique que l’enfant prend plus du côté de son père. Avec mon premier ça était le contraire, il ne ressemble pas à son père. Il me ressemble du coup, moi je ne trouvais pas. Je n’arrivai pas à voir mes traits parce que je recherchai les traits de chez son père. Je ne comprenais pas alors que tout le monde disait qu’il me ressemblait. Si son père avait été plus foncé je l’aurais choisi oui parce que j’aime les noirs je n’aime pas les personnes trop ou très claires de peau. »
Dans les relations matrimoniales, la couleur de la peau agit de manière inconsciente et, a postériori sur les caractéristiques morales des enfants. Bien que de nombreuses femmes ont déclaré préférer un conjoint mahorais, force est de constater que, la couleur de la peau blanche, reste valorisée comme critère du beau et du désirable. Ceci est nettement perceptible à travers les réseaux sociaux dont une plateforme de discussion mahoraise et les séries télévisées d’Amérique du Sud où tous les acteurs principaux sont blancs.
La plateforme mahoraise publie régulièrement des images de personnes blanches et noires. Quand il s’agit de se moquer, dans la plupart des cas ce sont des images de personnes noires et pour la beauté ce sont des Blancs.
Les images ci-dessous permettent de montrer comment s’opèrent les logiques en lien avec la couleur de la peau dans un contexte mahorais. Les deux images représentent des situations de séduction, l’une a été publiée par un homme et l’autre par une femme. Celle de gauche qui affiche des hommes Blancs issus des télénovelas sud-américaines contient des connotations favorables. A l’inverse, sur celle de droite on voit des femmes d’origines africaines avec des visages outrageusement maquillées et dépréciatives.
Ainsi, le désir et le cadre de l’intimité peuvent sembler échapper aux rapports de force, de pouvoir et aux hiérarchies sociales héritées du passé esclavagiste et colonial durant lequel, les personnes blanches étaient positionnées au sommet de la pyramide tandis que les Noirs étaient en bas. A Mayotte ces stigmates façonnent les mémoires si bien qu’elles tendent à invisibiliser la beauté des personnes aux phénotypes jugés africains.
Zakia Ahmed est doctorante et chercheuse en anthropologie sociale et culturelle. Elle travaille sur les rituels et pratiques de la grossesse et de la maternité des femmes mahoraises à La Réunion. Elle est à la recherche d’un.e directeur.trice de thèse pour finir et présenter sa thèse.
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