Au Planning familial, dire et ne pas dire l’intime 

Appel à contribution de la revue En Marges sur l’intime et le politique relayé par une des militantes du planning familial de la Vienne : cette proposition nous parle directement car l’articulation entre  intime et politique est au cœur de nos valeurs, de nos engagements.  

Se dire, se creuser, se dévoiler. 

« L’intime est relatif, il n’y a pas d’universalité, c’est social, donc politique. » 

Le cours d’une après-midi à l’association départementale de la Vienne du Planning Familial, douze  militantes bénévoles, féministes discutent de ce que provoque en elles l’évocation de l’intime,  l’intimité. Nos âges sont variés, nos parcours aussi, nous n’avons pas les mêmes vécus intimes et  pourtant notre conviction qu’il s’agit là de ce qui construit notre combat politique, féministe est  partagé.  

Souvent, nous l’entendons en permanences d’accueil, en animations en milieu scolaire, ou auprès  d’adultes, « l’intime, c’est ce qu’il y a de plus secret en nous. »  

« Pas vraiment, l’intimité peut être partagée, le secret pas forcément. » L’une de nous rétorque :  « Mon intimité, je peux la dévoiler, le secret est profond, caché. » Une autre raconte que l’intime est mouvant, il peut se dire d’une façon à la personne avec laquelle nous vivons, d’une autre avec nos  proches, encore d’une autre manière avec notre famille. « Ce n’est pas quelque chose de figé. On  peut avoir une relation à l’intime différente en fonction de l’âge, du vécu, de l’entourage. L’intimité  à 15 ans, ce n’est pas pareil qu’à 30. » Il n’en est pas de même à 20 ou à 70 ans. Il y a du chemin et  des éléments que l’on digère ou non. 

Au Planning, on est les reines de « l’intime est politique ! » 

Dans notre réflexion, une trame nous suit. Les personnes qui viennent nous rencontrer, nous livrent  souvent des éléments intimes de leur vie, il ne s’agit d’ailleurs que de cela. Elles viennent parler de  leur vulve, de leur sexualité, de leur avortement, des ratés, des hontes, des violences. Parler et  écouter. Nous ne jugeons pas, nous recevons cette parole avec valeur, sans être juge ou flic. Cette  expérience de s’exprimer, c’est l’éducation populaire, l’un des fondements du Mouvement Français  pour le Planning Familial qui nous porte. 

« Ce que l’on définit comme l’intime c’est tout à fait relatif, c’est la société qui décide que parler de tel ou tel sujet, montrer certaines choses, ça ne se fait ou ne dit pas. Pourquoi on décide de ne pas  parler des règles, de la sexualité ? » « Pourquoi le slogan l’intime est politique est-il arrivé ? Pour  dénoncer le pouvoir patriarcal qui a mis une chape de plomb sur toute une série de sujets, les  violences, le corps. Dire « non, c’est intime, on n’en parle pas » est un prétexte de dominant pour  mieux dominer et ne pas l’être. » Stratégies bien connues. Stratégie qui tue quand les violences dans le couple sont considérées comme de l’intime. « C’est dans l’intime qu’on aime mais c’est aussi dans l’intime qu’on insulte, qu’on humilie, c’est dans l’intime qu’on viole, qu’on tue. »  

Mais entre nous, comment nous dire ? D’autres militantes font remarquer qu’entre femmes, il y a  des réticences à nous raconter « intimement », nous sommes élevées en concurrence, à nous  regarder, nous juger. « Les femmes sont peu constituées en groupe politique et donc c’est beaucoup  plus difficile. L’intérêt du patriarcat est de nous garder en compétition, l’intime c’est le lieu, le  royaume des femmes. Et en même temps, c’est étonnant de voir combien l’intime cadenasse les  femmes. » Et si nous étions victimes de violences. Le dirions-nous aux autres ?  «Ici, on peut parler de beaucoup de sujets : son avortement, ses règles, la charge mentale, les  enfants… Moi j’arrive à parler de ma sexualité, que je n’aime pas les cuni, que j’aime faire des  fellations… Mais si j’étais victime de violence, j’aurais peur d’en parler ici car je ressentirais de la  honte en tant que féministe. La violence, c’est le sujet ultime. » Une autre forme de tabou peut  naître de ces situations de dévoilement. On peut parfois se sentir pas assez féministe, ne pas oser 

dire les moments où nous ne le sommes pas. On peut aussi se sentir honteuse ou mal à l’aise.  Certaines racontent s’être senties mal car elles n’avaient pas un désir ou une libido d’enfer. « Le  souvenir laissé, par les discussions sur nos sexualités est que ‘je ne suis pas normale si j’ai pas envie de coucher avec mon mec à une certaine fréquence’. » Le sentiment aussi de colère, « je suis  féministe, j’interviens pour parler d’éducation à la sexualité et pourtant, pendant longtemps je n’ai  pas vécu d’orgasme ». Le groupe militant, bien que déconstruisant un certain nombre d’injonctions,  ne les retire pas toutes. Nous sommes aussi faillibles. « Parfois, on performe l’intime. » Nous réfléchissons sur le poids du groupe, nous ne pouvons échapper aux normes, mais nous  luttons sans cesse contre. Cela ne nous empêche pas d’être parfois rangée dans une case et cette  carapace est parfois compliquée à déconstruire. « Moi je suis psychorigide, moi je suis chiante. C’est plus compliqué de se dire fragile ou que ça ne va pas, de casser une image. » 

Nous creusons encore durant cet après-midi vers des lieux ou des éléments que nous ne disons pas.  Les moments où l’on ne s’est pas forcément sentie féministe. « Je ne me sens pas complètement  féministe dans la mesure où je ne laisse pas toujours la place aux autres. » D’autres disent qu’elles  n’y arrivent pas parfois. « Je vais bientôt me faire ligaturer, je suis féministe mais je sais que je peux pas en parler à ma famille. Alors que je suis féministe et que je devrais porter mes revendications et  m’affirmer, je ne leur dirais pas. Je me protège. » Certaines ont des relations merdiques avec leur  compagnon, ce n’est pas évident de le dire. « Dire les violences, c’est le plus difficile. » Certaines  parlent de leurs craintes. « Je pense que sur la question de la consommation d’alcool en tant que  femme, c’est très difficile d’en parler avec le groupe. Là je trouve ça très intime, plus que la  sexualité, plus que les violences. Nos addictions, c’est ce qui nous fait tenir. La question de la  consommation d’alcool chez les femmes est un gros problème. S’exposer au regard de la copine qui a les mêmes travers ou qui ne les a pas, c’est dur. » Les sentiments aussi, ce par quoi nous sommes  traversées dans nos couples. C’est parfois plus compliqué à dire que notre sexualité, ce que l’on  aime, ce que l’on n’aime pas. 

Nous brassons durant cette après-midi, dans un premier mouvement de groupe, les blocages. Cela  nous paraissait tellement évident, « l’intime est politique », ce slogan, nous renvoie aussi à nos  faiblesses, nos blocages. Là où nous sommes encore dans un tabou vers les autres, nos sœurs ou nos adelphes. Nous parlons aussi du corps, de la nudité. L’une de nous pratique le naturisme, ne met pas de culotte en été, s’étonne qu’il y ait encore beaucoup de difficultés et de tabous du corps chez des  féministes. « L’intime du corps, ce corps qu’on ne montre pas, qu’on ne dénude pas. C’est étonnant  de ne pas pouvoir se mettre tout nu. Les résistances à se dénuder au nom de l’intime. Comment en est-on arrivé à faire penser aux femmes qu’elle ne peuvent pas se mettre nues ? » Sans retomber  dans une injonction contraire, comment nous parler, nous montrer, continuer à se dire comme ces  journées-là dans notre local en bas d’une tour HLM que l’intime, il faut le décortiquer pour penser  contre nous, et faire mouvement. 

« Parler de l’intime pour se connecter aux autres.  

Parler du tabou, le partager et ne plus l’étouffer.  

Connaître les faiblesses des autres fait notre force. »

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