A l’occasion de la soirée de lancement de la revue, nous avons souhaité intégrer une boite à secrets : chaque personne présente était invitée à y glisser un secret anonyme. Ils devaient par la suite être envoyés à Lille Clairence pour qu’il en fasse une oeuvre poétique.
Le 20 novembre 2018 se tenait la soirée de lancement de la revue En Marges !, à la Mutinerie, Paris 1er. Je n’y étais pas. Quelques jours plus tard, j’ai reçu une lettre de mon amie Juliette Lancel.
“Très cher Lille,
Ces secrets sont pour toi, rien que pour toi.
Je ne les ai pas lus malgré ma curiosité dévorante, par crainte d’altérer le processus magique de transmutation en matière poétique.
Jusqu’au revoir,Juliette.”
Une trentaine de petits papiers, pliés et repliés, collectés pendant la soirée. Par sa confiance, Juliette fait de moi un prêtre d’Hécate, gardien des ombres. Humblement, en tout cas aussi humble que puisse l’être un élu des dieux, j’ai demandé à la Lune un conseil, et voici ce qu’elle m’a répondu :
les secrets sont des carrefours
C’est maigre, comme point de départ. Pour être tout à fait honnête, la déesse a parlé en anglais, enfin, elle a parlé en mathématiques anglais : elle m’a soumis une équation.
Secrets = crossroads
En l’écrivant, je me suis dit “c’est marrant, parce que le signe égal, on dirait une autoroute, alors qu’un carrefour c’est plutôt une croix.” Du coup j’ai dessiné ça.
Secrets = +
Et là, je vois la mort. Secret = mort. La mort de qui ? de quoi ? J’ai ouvert l’enveloppe.
“Je rêve de voir des églises ouvertes un jour comme espace de jeux et de plaisirs sexuels. Du blasphème érigé comme plaisir et perversion.” Le pouvoir érotique des lieux saints. Le diable, les bonnes soeurs, les prêtres défroqués. La torture de celui qui voulait racheter nos péchés, exposée à la vue de tou·tes, son visage calme comme celui d’Ophelia de Millais. Les pur·es sont morts, à nous la païenne débauche.
“J’ai attendu presque 30 ans avant d’avoir mon premier orgasme. Seule.” Seule avec un S majuscule. Est-ce que tous les secrets vont parler de cul ? De quoi parle-t-on lorsqu’on peut parler de tout ? De quoi parlerais-je, moi, si j’étais à leur place ? Je repense à mes amies Clito et Cyprine, qui m’ont confié leur anorgasmie pendant un collage nocturne, à Toulouse. Leurs slogans : « Mon monde ne tourne pas autour de ta bite », « Mon plaisir n’est pas un préliminaire » et « Si ma jouissance est optionnelle, la tienne aussi ».
“A la dernière élection présidentielle, je n’ai pas eu le cran de voter blanc, et j’ai voté Macron.” Quand quelqu’un se confie à nous, il est de bon ton de ne pas juger. J’en connais d’autres, qui ont mis leur bulletin dans l’urne en se bouchant le nez. Pour faire barrage au FN. Je n’en fais pas partie. Je n’ai pas cru au sketch du front républicain. At the end of the day, on a tou·tes les mains sales.
“J’adore sucer, mais je suis nulle.” La première et la dernière fois que j’ai écrit un secret, je me suis vanté. J’ai écrit quelque chose dont j’étais fier. J’admire celleux qui utilisent cet espace pour avouer des faiblesses. Est-ce que tu es si nulle que ça ? Tu crois pas que c’est plutôt ton syndrôme de l’imposteur qui parle ? J’adore cette révélation brute, ce cri du coeur. Si tu veux, je peux t’apprendre.
“Le saphisme a depuis longtemps pris mon esprit, mais une résistance continue d’opérer.” Alors que je lis ces mots, Hécate reparaît, sous la forme d’un dm sur Twitter.
“May I suggest you a playword ?
Secrets = crosswords”
Les secrets sont des mots qui se croisent. Vous m’avez offert un secret chacun·e, alors je vous en donne un, moi aussi. On dirait que je vous l’aurais glissé dans la main, ou dans le creux de l’oreille. On dirait que vous vous seriez mis un peu à l’écart pour le lire, conscient·e du cadeau précieux qui vient de vous être fait.
Lille Clairence est écrivain de plateau. Sa démarche artistique s’articule autour de formules magiques, de rituels et d’une pratique compulsive de l’auto-analyse. En ce moment, il travaille sur un spectacle d’anniversaire et deux cosmogonies immersives.
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