La Maternité optionnelle : de la reconnaissance d’une identité

Etats-Unis, 1972. L’association à but non lucratif NON, National Organization for Non-Parents (Association Nationale pour les Non-Parents), est créée dans le but d’éduquer le public sur la parentalité optionnelle en tant qu’option de style de vie valide, soutenir ceux qui décident de ne pas avoir d’enfants et promouvoir la conscience du problème de la surpopulation. Par refus du sigle NON, l’association devient plus tard NAOP, National Alliance for Optional Parenthood (Alliance Nationale pour la Parentalité Optionnelle) et résiste jusqu’à 1982. Financé par de grandes fondations, on la décrit comme une association qui encourageait les jeunes à prendre des décisions réfléchies et responsables en ce qui concerne la parentalité, voulant diminuer l’impact des pressions sociales qui lient la parentalité au succès ou la maturité. 

Parmi ses actions, la NON décide de fêter le choix des non-parents en août 1973. Plus précisément, le 1er août a été choisi et réclamée par des Américains comme l’International Childfree Day, Journée “Libre d’enfants”, pour célébrer les personnes libre d’enfants dans le monde. Un homme non-parent et une femme non-parent ont été choisis comme Roi et Reine Non-Parents de l’année. The New York Times a couvert l’événement avec l’article « Un Roi et une Reine, mais il n’y a pas de Princes ou Princesses en vue ». Le couple a défilé en voiture dans une rue de New York. Pour le Roi, les personnes qui ne veulent pas d’enfant souffrent des discriminations économiques et sociales. « Les lois des impôts sont en faveur de la natalité, et il y a des pressions sociales sur le mariage et les enfants ». La Reine parlait des « enfants nés de parents qui ne les voulaient pas et qui n’étaient pas aimés ».   

Marcia Drut-Davis est une « experte », participant au mouvement childfree dès ses débuts, et auteure du blog http://www.childfreereflections.com. Le 5 octobre 2019, Drut-Davis nous parle de son histoire et son militantisme. À 76 ans, elle continue à s’engager dans la communauté childfree, le lifestyle childfree, comme elle le définit. Être active dans le mouvement childfree c’est être fière, honorer, féliciter, soutenir, partager, et rendre ce choix aussi viable que la parentalité. D-D était la présidente de la branche de NON Long Island. Elle se souvient de la création de la Journée Childfree pour fêter la beauté d’être libre d’enfants par choix. En 1974, un groupe de 65 personnes childfree s’habillent bien et font la fête dans un restaurant à New York. En réponse aux curieux de la raison de la fête, ils répondent : « Nous sommes heureux, nous n’avons pas d’enfants. » « C’est une blague, vous fêtez cela ? » Les réactions sont diverses, mais le groupe trinque. C’était une journée pour se sentir validé, reconnu, honoré. Pas par les amis et la famille, qui ne les comprenaient pas, mais par eux-mêmes.

En 1974, Drut-Davis, à l’époque 32 ans, participe à une émission de télé, où elle décide, son mari de l’époque à son côté, de faire son coming out, selon elle-même. Marcia annonce à sa belle-famille que le couple a décidé de ne pas faire d’enfants. En regardant l’émission, ce qui ressort pour elle, plus que le portrait d’un couple triste, égoïste et immature, est la phrase finale du présentateur : « Pardonnez notre perversion de diffuser cela pendant la Fête des Mères ». Drut-Davis voit son image liée à l’idée de perversion. Ce qui suit est une descente aux enfers : elle est virée de son travail d’institutrice, ces voisins la harcèlent, elle est appelée femme horrible sans Dieu et sans cœur, on lui envoie des menaces de morts par courrier, envers elle et même son chien, qui n’est surement pas bien gardé par quelqu’un qui refuse d’être mère. A 70 ans, Marcia Drut-Davis écrit un livre pour raconter son vécu de femme sans enfants et assurer qu’elle n’a eu aucun regret de son choix.

40 ans après la création du Childfree Day, en 2013, quelques auteures et blogueuses expertes sur le choix childfree, dont Drut-Davis, se sont réunies pour reprendre la Journée du 1er août. Sur le site https://internationalchildfreeday.com, il est possible de nommer quelqu’un (ou soi-même) pour être la personne (tous genres inclus) ou le groupe childfree de l’année. La reconnaissance annuelle des personnes libres d’enfants veut favoriser l’acceptation des non-parents dans la société actuelle. Une fois par an, on choisit de nouveaux représentants des childfree par choix. Une personne quelconque, qui partage sa joie d’être childfree et de vivre fièrement ce style de vie. La nomination est également une occasion de promouvoir le sujet dans les médias.

Marcia Drut-Davis

Pourquoi participer à une journée du choix d’être libre d’enfants ? « Je la fête parce que c’est amusant, les gens se demandent l’occasion, pourquoi on fait la fête. Cela ouvre une possibilité de toucher leurs cœurs. La journée sert a donner du soutien, honorer et éduquer. Nous profitons de notre style de vie, et la plupart de gens ne comprennent pas, ni ne l’acceptent. Nous sommes considérés comme égoïstes, irresponsables, hédonistes, indignes. Nous sommes juste des êtres humains dans cette planète qui font un choix personnel. On ne dit pas que vous devez faire le même choix, on dit qu’on veut ne pas avoir d’enfants et cela est parfaitement beau. Nous devons célébrer et parler de notre choix. Pas défensivement, mais avec fierté. »

Mais, est-ce que la journée internationale libres d’enfants sert vraiment à éduquer ? Pas assez, selon Drut-Davis. « Nous avons besoin de personnes qui en parlent, qui écrivent sur ce sujet. L’éducation commence quand les gens ne sont plus méfiants. Depuis petites, les filles jouent aux poupées et s’occupent des enfants, c’est triste. Il n’y a pas d’éducation. Personne n’apprend aux enfants qu’il y a la possibilité de choisir ne pas avoir d’enfants et que c’est parfaitement bien. Le mythe de la maternité est perpétué depuis le jardin d’enfance. La majorité des personnes qui choisissent de ne pas avoir d’enfants n’ont rien contre les enfants. Ils n’aiment simplement pas le style de vie des parents. Ce n’est pas de la haine envers les enfants. Il s’agit de se reconnaître soi-même ainsi que ses propres limites. »

Récemment, dans un événement childfree, D-D a invité les médias, les journaux, des journalistes… personne n’est venu. Sur le peu d’articles qui parlaient de la journée, des commentaires haineux : pourquoi vous voulez annoncer à quel point vous êtes égoïstes ? Beaucoup sont choqués par la fête, cela suscite des questions. Certains disent ne pas savoir quoi faire sans leurs enfants. D’autres les félicitent, en songeant avoir fait le même choix il y a quelques années. Et certains sont vraiment heureux dans leur choix et voudraient qu’on ressentent le même épanouissement qu’eux.

Pour qu’une femme soit capable d’annoncer publiquement le choix de ne pas avoir d’enfants, et sachant qu’il s’agit d’un choix déviant la norme sociale, il faut auparavant avoir fait un bon travail de réflexion sur soi. La place de la femme dans la société reste encore beaucoup lié à la possibilité de maternité. L’identité féminine est liée à la capacité au soin. Se dire et s’affirmer childfree, c’est se reconnaître soi-même en tant que tel. C’est sans aucun doute un acte politique. Quand réfléchir sur soi, ses limites, ses capacités et ses choix ne suffit pas, la reconnaissance sociale est-elle toujours nécessaire ? Quel est son importance dans la vie d’une personne ?

Le philosophe et sociologue allemand Honneth a développé une théorie de la reconnaissance, où il décrit trois modes de reconnaissances nécessaires pour la réalisation de soi : affective, juridique et culturelle. La reconnaissance affective se donne par les liens d’amour, les expériences primaires et plus intimes de l’individu. Cette reconnaissance se base sur le sujet « concret » et peut avoir des conséquences sur l’intégrité physique de l’individu. Elle joue sur l’autonomie de soi et l’acquisition de la confiance en soi, nécessaire à la participation à la vie sociale. Il est possible d’affirmer, par le récit de vie de plusieurs femmes childfree, que ce choix de vie n’a pas de lien spécifique avec sa reconnaissance affective.

Honneth parle alors de la reconnaissance juridique, qui décrit le sujet moral abstrait et joue sur notre intégrité sociale. Elle s’agit de la capacité de poser des jugements pratiques et de rendre compte de ses actes de façon autonome, se reconnaître comme sujet de droits et de devoirs. A partir de cette reconnaissance, le respect de soi est acquis. Une femme qui prend la décision de ne pas avoir d’enfants est confrontée à des pressions sociales et biologiques. Il existe des limites pour ses réflexions, où son désir et ses jugements moraux prennent une importance majeure. Enfin, la reconnaissance culturelle traite des sujets à part entière, de leurs trajectoires de vie, qui composent une communauté éthique des valeurs d’une société. L’estime sociale, propre à cette sphère, est indispensable à l’acquisition de l’estime de soi, et le manque de reconnaissance éprouvée dans des cas de stigmatisation peut poser des conséquences sur l’honneur et la dignité, déclenchant ainsi des luttes pour la reconnaissance. 

Selon certaines réactions et commentaires de D-D, il existe encore des personnes qui ne reconnaissent pas l’existence de la possibilité de choisir une vie sans enfant. Il y a également ces femmes qui viennent à regretter le fait d’avoir eu des enfants, et s’intéressent au mouvement childfree comme possibilité d’ouvrir la parole et les réflexions sur le choix de la maternité. Certes, cela peut choquer certains, susciter des réactions extrémistes, irrationnelles. Pourtant, plus on en parle, plus le mouvement s’agrandit. La reconnaissance et l’acceptation d’un choix de vie libre d’enfants autorisent à ces femmes la possibilité de reconnaître leur existence. Une fille peut devenir adulte, mature, épanouie, et enfin devenir une femme sans le besoin d’être mère. Tout simplement une femme à part entière.   

Drut-Davis organise souvent des événements childfree, où elle rencontre des personnes du monde entier. Selon l’experte, les croisières en childfrees sont des moments de transformations de vies. Récemment, une nouvelle participante a dit avoir enfin ressenti une validation de sa vie. Les deux pleuraient ensemble de joie par sa libération. « C’est la première fois que je ne me sens pas une « outsider », une étrangère, moins que les autres. On comprend ce que ça représente d’être reconnue quand on est supposée avoir honte. » Depuis la croisière, cette femme a perdu plusieurs kilos, a changé de travail et s’est mariée. Actuellement, elle participe au projet du prochain livre de Marcia Drut-Davis.

Honneth affirme qu’être un objet de reconnaissance est psychologiquement important. Il est difficile de se respecter soi-même en tant qu’autorité si l’on ne reçoit pas le soutien des attitudes correspondantes de respect de la part des autres. Et ne pas se considérer ou se respecter soi-même comme méritant une position sur les normes sociales constitutives de son milieu de vie est potentiellement très préjudiciable au développement et au maintien de ses propres capacités psychologiques. Ne pas être reconnu par les autres, et par conséquent être privé à leurs yeux du statut de personne, constitue pour l’individu concerné un préjudice.

Pour moi, avoir un enfant ou choisir d’être parent est le choix le plus important de toute une vie. Pourtant, aucun mot n’est dit dans les écoles sur la viabilité du choix de vivre une vie épanouie sans devenir mère. Il y a encore un long chemin à parcourir pour faire comprendre que la parentalité est un choix, et la maternité optionnelle. « Même aujourd’hui, je me demande si c’est vraiment accepté de ne pas vouloir d’enfant. » conclue Drut-Davis, quarante-cinq ans après son coming out.

Éléments Bibliographiques

François, Yolande. « Le sentiment de reconnaissance et le besoin de reconnaissance sont-ils étroitement liés ou peuvent-ils s’exprimer de manière distanciée ? La science des fondements de la reconnaissance dans les organisations. » Jun 2014, Marseille, France. pp.21. hal-01072540f

Honneth, Axel. « La théorie de la reconnaissance : une esquisse » et « Visibilité et invisibilité : sur l’épistémologie de la « reconnaissance » », Revue du MAUSS, 2004/1 (n° 23).

Ikäheimo, Heikki. « Un besoin humain vital. La reconnaissance comme accès au statut de personne ». In : Reconnaissance, identité et intégration sociale. Nanterre : Presses universitaires de Paris Nanterre, 2009. Disponible sur internet : https://books.openedition.org/pupo/736.

Klemesrud, Judy. “A King and a Queen, but There Are No Princes or Princesses in Sight.” The New York Times. August 2, 1973, page 40.

Documentaire avec la participation de Marcia Drut-Davis: « To Kid or Not To Kid », diffusé sur Amazon Prime et iTunes à partir du 16 décembre 2019.

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