Passer
Passing through
Transformer
Prendre forme
Dar la luz
Lumière de vie
Transcender
Translation from a watery world
To an airy mode
The first look
of you little eyes in the night
Tu primera mirada
Ton regard perçant et si présent
J’entends encore le chant des grillons et l’eau de la rivière qui coule à flot
Le tambourinement des trombes d’eau sur les tuiles pleines de mousse et l’odeur
du matiko ramassé plus loin sur le chemin de terre
Je me rappelle de la faiblesse dans mon corps
De la joie sans limite
Euphorie totale dans la danse de la lune noire cachée derrière les nuages chargés
de pluie
Lorsque tu es née, un obstacle a été bousculé en moi. Soudain est apparue la
certitude que seul mon corps peut savoir. Seul ton corps peut savoir. Comment
naître. Comment devenir aérienne après cette période de vie en bain aqueux. Une voix
chuchote en moi que tout est une question d’écoute, qu’il suffit de tendre l’oreille à
travers le cocon du corps. Cette écoute est pourtant si évidente, seulement parasitée par
les craintes de tâtonner dans un monde imposant de plus en plus de mesures de sécurité-
pour-notre-bien.
Pour la première fois je goûte au droit, concret, réel, vivant, de revendiquer mon
corps. Devenir gardienne d’utérus, gardienne de vie. Nous sommes deux, trois si nous
comptons le placenta, dans une enveloppe de chair. Durant le parcours de la grossesse,
s’érige en moi une forteresse, une réaction forte aux intrusions répétées dans mon
corps, dans notre enveloppe, intrusions pour ton bien, pour mon bien, pour le bien de…
Piqûre, sang absorbé, testé, mesuré. Auscultation, prélévement. Contrôles. Depuis la
naissance de ton frère, je suis incapable de retourner chez un gynécologue. Le dernier
contrôle était celui de ma sage-femme, à la maison, sans douleur, sans humiliation, sans
malaise. Mais comment trouver un.e gynécologue à domicile?
En devenant gardienne d’utérus, en sentant ta lumière grandir en moi, je suis
devenue gardienne de liberté. Liberté d’user de mon corps, de ses plaisirs, de ses
organes. Avec paix et sérénité.
En voyant l’efficacité des informations qui abondaient autour de moi lorsque tu
nageais en moi, je comprenais la nécessité d’une connexion plus forte entre les
personnes qui portent un utérus. Même si l’association de ce port utérin à la féminité, à
la douceur, m’échappe encore, cette connexion forte interpersonnelle permet de faire un
pas de côté pour éviter les mots lourds, les mots cadrés, les mots qui blessent par leur
normalité imposée. Qu’ils viennent de l’institution, des hommes, de la famille, de la
voisin.e.
Ce pas de côté permet de laisser l’espace de la respiration, de laisser filer ces
normes et leurs conquêtes de l’espace pour créer une autre quête, celle de la confiance,
des connaissances du corps, des corps. Faire circuler des informations d’une manière
qui ne puisse pas être jugée. Laisser les mots et les expériences circuler, voleter,
abonder. Laisser émerger plusieurs modèles et possiblités en soi, entre plusieurs êtres,
pour dépasser et guérir l’aseptisation proposée par la norme de la lumière blanche des
hôpitaux.
Récemment, j’ai essayé de parler du massage du périnée à une amie enceinte.
Même avec quelques bières dans mon corps, les filaments de la retenue ne me laissaient
pas l’espace de dire simplement: tu prends de l’huile de coco, tu t’installes
tranquillement, tu te détends et tu fais des mouvements circulaires avec un ou deux
doigts dans ton vagin. en respirant. En écoutant. Puis de droite à gauche. Et de haut en
bas. Bref, un massage. Du périnée. Qui fait du bien. Qui détend ces muscles qu’on
oublie. Mais je n’ai pas réussi à lui dire tel quel. Pour compléter mes demi phrases, j’ai
fait un dessin absurde qui représentait le quatre points cardinaux et j’ai insisté pour
qu’elle demande à sa sage-femme de lui expliquer avec plus de clarté. Sa sage-femme,
emplie de timidité face à ce sujet, n’a pas réussi à lui expliquer clairement. Le vagin
reste enduit de tabou, même lorsqu’il s agit de santé et d’équilibre.
Pourtant lorsque ma fille est née, ma route a croisé celles de femmes qui me
parlaient de solutions gynécologiques naturelles, de leur application, quelle plante à
quel moment. Quel geste, quelle respiration. Ca ne passait jamais par une organisation
médicale, ni par une sage-femme officielle. Mais ces informations étaient importantes,
vitales. A la fois abondantes et précieuses.
Ma fille est née dans une vieille maison oú était née le fils d’une voyageuse. Elle
disait qu’elle était en transe et qu’elle avait chanté pendant les contractions. Je ne l’ai
croisée qu’une fois, alors qu’elle partait et moi j’arrivais, dans ce village unique, celui
de la longévité qui attirait tant les touristes en quête de voies spirituelles, que les
femmes voyageuses qui voulaient donner naissance dans un endroit plus serein, plus
libre. Hors des murs blancs et du bourdonnement des néons.
Ce pas de côté, ce recul face à l’assistance médicale, n’était pas fait de
renoncement, de fuite, mais d’une ferme volonté de créer un espace de liberté, de
soulagement, de confiance. Un espace pour partager les expériences autoir de la vie à
plusieurs dans un corps. Sans devoir lutter, contrer, argumenter ces regards masculins.
Un espace dans lesquels se tissent une connexion unique, hors de la solitude parfois
ressentie face à l’hétérosexualité ambiante, prenante, omniprésent, parfois nauséante,
collante.
Je découvrais des nouvelles connexions, une communauté, un espace abondant,
qui garde un secret, celui de la vie, de la survie, du secret des premières minutes de vie à
l’air libre, de la première bouffée d’air dans les poumons. Sans épisotomie, sans fortex,
sans position allongée et contrainte. Sans péridurale.
Pas de cris, pas de bébés tenus par les pieds et séparés précipitamment de l’être
qui les portait. Pas de ciseau qui coupe ce cordon qui les lient à leur placenta jumeaux.
Pas de lumière blanche, pas de néon, pas de bips, pas de toucher vaginal toutes les
heures pour vérifier que tout aille bien.
Mes souvenirs d’accouchement sont souvent ressenties comme un le négatif d’un
instantané de notre manière de traiter cet instant unique, magique, transcendant. Je ne
me retrouve pas dans les récits modernes de venue au monde. Pourtant, cette absence est
mon plus grand luxe. Avoir été accompagnée du chant des grillons et de parfois du
regard des insectes, plutôt que vivre l’intrusion des médecins, de leur regard, normes et
doigts.
J’ai fait un pas de côté, adopté le recul au lieu de l’affrontement. Regardé en mon
propre corps. J’ai laissé un espace se construire. Une zone qui échappe à l’intrusion des
normes. Cela aurait-it été possible sans ces innombrables discussions entre ces êtres
traçant un autre chemin?
En miroir de ce moment de lumière, celui d’une pénétration sous contrainte,
perpétré par les règles intrusives de l’Etat lors de l’hesitation de garder une vie en moi.
De l’attente sur un lit dans un chambre étroite à la lumière nauséante. Attendre les
jambes écartées qu’un homme, qui ne m’adresse que quelques mots, regarde son écran,
ausculte. Mesure. Une main sur le clavier, l’autre main tenant cet instrument qui pénètre
dans mon corps. Triture mes organes de plaisir et de libération. Les enferme dans du gel
synthétique. Les enduit d’un mouvement circulaire et maladroit. Tente d’avoir un
aperçu de ce point de vie, minuscule, et vérifier qu’il existe vraiment. Tout ceci afin de
m’autoriser le droit d’user de mon corps.
.
.
En miroir de la beauté des grillons et du chant de la rivière, d’une maison isolée et
de la lune noire, ces innombrables séances d’humiliation, de douleur, d’auscultation, de
vérification. Pour calmer la peur. La peur des médecins d’être poursuivis en justice. La peur que la medicine puisse avoir tort. La peur que quelque chose, un détail, une miette,
tourne mal. La peur de la mort, de la maladie, de l’a-normal, de l’a-cadré*e.
La peur.
En parcourant l’ouvrage destiné aux sage-femmes de campagne et qui passe de
main en main, je me rends compte que la seule chose qui peut tourner mal lorsque tout
va bien, c’est cette peur. Qui provoque le manque de respiraron ou une respiration trop
rapide, qui provoque le manque d’oxygène, qui provoque le stress du bebé, qui le
pousse a faire son premier excrément encore dans le liquide amniotique. Qui oblige
l’urgence et l’intervention médicale.
La peur.
.
.
.
Dans la faible lueur des bougies, je regarde ton père en transe avec sa plante, en
connexiom transcendante avec nous deux. J’imagine les nombres hypnotiques qui.
.
.
Descendent.
Depuis la lumière de la conscience
Jusqu’à l’obscurité de l’appaisement
Diez.
Nueve
Ocho
Sept. Je commence à sentir l’effet
Six
Cinco
Quatre soulagement
Trois
Deux presque
Un ça y est
Zero
La douleur est partie l’envie de chanter hurler crier
Aussi
Seul le silence et le chant des grillons qui ont chanté pour mon corps qui n’émet
aucun son.
La contraction passe.
J’attends
Les grillons chantent
La rivière tonitrue
Vagabonde entre les continents, Grenade a trouvé comment révéler la magie et la complexité du monde à travers les lunettes de l’anthropologie. Accompagnée de ses enfants, elle jongle entre les espaces, les langues et les idées.